Nous avons eu la chance d’échanger avec Isabelle Gaudefroy, actuelle directrice de la programmation musicale de la Fondation Cartier autour du lien qui existe entre l’artiste punk Patti Smith et la fondation créée par une entreprise de luxe telle que Cartier. Si les points communs ne sont pas évidents à détecter au premier abord, on retrouve dans les deux camps un intérêt pour la recherche artistique et une ouverture à l’expérimentation.

Desinvolt : Bonjour, tout d’abord, est-ce que vous pourriez nous faire un historique de la Fondation Cartier et nous présenter un peu la ligne artistique de celle-ci ?

Isabelle Gaudefroy : La Fondation Cartier a été créée en 1984 par Alain-Dominique Perrin, président de la société Cartier à l’époque. Elle était hébergée au château de Jouy-en-Josas, une commune de banlieue parisienne. Elle était issue d’une rencontre avec l’artiste César qui avait eu l’idée de créer une fondation philanthropique pour soutenir les artistes contemporains et la création contemporaine. C’était précurseur, car c’était la première fondation d’entreprise consacrée à l’art contemporain en France. En effet, à l’époque il n’y avait pas du tout de fondation d’entreprise qui proposait un tel lieu. Il est vrai qu’aujourd’hui il est fréquent que les entreprises et marques créent des fondations, comme les Galeries Lafayette ou Vuitton dont on entend beaucoup parler actuellement. L’idée de départ de la Fondation Cartier était de créer un endroit ouvert à tous les artistes et à toutes les formes de création contemporaine. C’est ainsi que la musique est entrée assez tôt dans la programmation de la Fondation Cartier, à une époque où elle était peu présente au sein des institutions culturelles parisiennes en général. En 1994, la Fondation Cartier s’est installée à Paris, et à partir de ce moment-là, la musique a pris encore plus de place au sein de la programmation, avec des rendez-vous réguliers donnés à la scène des musiques actuelles.

Desinvolt : La musique est donc entrée d’emblée au sein de la programmation ?

Isabelle Gaudefroy : Le gros événement dont tout le monde se souvient c’est le concert du Velvet Underground qui s’est déroulé en 1990. Auparavant, il y avait eu pas mal de contacts avec le monde de la musique mais plutôt au sein d’expositions, sans que ce ne soit particulièrement mis en avant. C’est vraiment à partir de 1994 que la musique est devenue un aspect essentiel de la programmation, notamment à travers des performances mais aussi des expositions comme Rock’n’Roll 39-59, ou l’exposition de Patti Smith en 2008.

Desinvolt : Cette exposition était le premier contact avec l’artiste ? Ou il y avait déjà des collaborations auparavant ?

Isabelle Gaudefroy : Non c’était vraiment le premier contact avec l’artiste, qui avait débuté avant 2008 bien sûr, car on prépare les expositions sur deux ans. Ça a été comme souvent dans l’histoire de la fondation, d’abord une histoire de rencontre, avec une personnalité hors du commun. Une rencontre entre les commissaires des expositions Ronald Chamah et Hervé Chandès, le directeur général de la Fondation Cartier et Patti Smith à propos de ce que pourrait être une exposition de l’artiste. C’était une exposition de photos de Patti Smith, qui avait un aspect très intime, c’était presque une installation, c’était presque comme se retrouver dans sa maison. L’exposition a été accompagnée de plusieurs concerts et de toute une série d’événements à la préparation desquels elle avait participé. Cela donnait un côté très pluridisciplinaire à l’exposition, avec un travail autour de la poésie, de la photographie bien sûr, et aussi autour de la musique.

 

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Desinvolt : Du coup, pouvez-vous nous expliquer ce qui a été votre démarche cette année, d’inviter Patti Smith, en compagnie de John Cale, non plus pour une exposition mais pour un concert ?

Isabelle Gaudefroy : Nous fêtons cette année nos 30 ans, donc nous sommes à la fois revenus sur un certain nombre d’événements qui ont marqué l’histoire de la Fondation Cartier, tout en imaginant des choses nouvelles et de nouvelles collaborations avec les artistes avec lesquels nous avions travaillé. Il faut savoir que la Fondation Cartier a toujours travaillé de manière très suivie avec les artistes. C’est vrai que de nombreux artistes ont participé d’abord à une exposition collective, puis à une exposition monographique et ensuite ont fait une performance et ont finalement intégré la collection. Il y a vraiment cette idée de suivre les artistes, de garder cette relation dans le temps et de mettre en contact les artistes entre eux. C’est comme cela que Patti Smith a rencontré David Lynch dans le cadre de l’exposition Mathematics, et qu’ils ont fait une performance ensemble. Il y a toujours eu cette idée de rassembler des gens qui étaient proches de nous, qui faisaient partie de notre histoire. Deux des grands événements musicaux étaient d’une part le concert du Velvet Undeground en 1990 à Jouy-en-Josas, et l’exposition de Patti Smith. On a eu l’idée de réunir Patti Smith et John Cale, qui est un des deux piliers du Velvet Underground, et surtout un des grands musiciens contemporains. Il a une sorte de vision à 360° de la musique et a fait autant de la musique expérimentale que du punk et du rock. Il a su allier les acquis de la musique expérimentale et l’énergie de la scène rock contemporaine à l’époque. Et Patti Smith est une artiste très importante pour nous. On a eu l’idée de réunir ces deux personnes, et il se trouve que lorsqu’on en a parlé, le fait qu’ils aient produit ensemble le premier disque de Patti Smith, Horses, rendait la chose encore plus pertinente. On a donc proposé à ces deux artistes de partager l’affiche pour un soir.

Desinvolt : Au niveau de la programmation musicale, Patti Smith et le Velvet sont plutôt dans le style rock. Il y a une ligne directrice stricte ou toutes les formes de musique sont les bienvenues ?

Isabelle Gaudefroy : Il y a une ligne directrice importante, c’est que la programmation ne tourne qu’autour de la musique contemporaine dans tous les sens du terme. C’est-à-dire une musique actuelle faite par des artistes qui sont dans une forme de recherche par rapport à la musique d’aujourd’hui. Mais effectivement, ça peut être autant du rock, que de la musique expérimentale, que de la musique improvisée, que de la musique classique contemporaine. Par exemple Fred Frith, qui est un guitariste considéré comme un des plus grands improvisateurs de notre temps, et qui est lié à toute cette scène new-yorkaise autour de John Zorn. Celui-ci est lui également venu plusieurs fois à la Fondation Cartier, dans le cadre de la musique expérimentale. Georges Aperghis qui est un compositeur contemporain a fait plusieurs concerts ici. On a fait aussi beaucoup de choses avec les compositeurs contemporains, on est également très proche de tout ce qui est jazz, très proches d’Archie Shepp qui est venu plusieurs fois. Ce sont des gens avec qui on entretient des rapports assez forts et assez réguliers. Evidemment, il y a toute la scène des musiques actuelles autour d’Animal Collective, et tous ces gens qui sont venus assez tôt dans la programmation de la Fondation Cartier. C’est toute cette scène qui est beaucoup médiatisée sur Pitchfork, mais également des musiciens qui vont être un peu moins connus d’un public large, mais qui sont des personnalités très importantes dans leur domaine. On travaille également autour des musiques du monde, en tout cas avec des musiciens venus d’ailleurs, avec toujours ce critère autour de la recherche, de l’innovation.

Desinvolt : Cette date réunit Patti Smith et John Cale, qu’est-ce qui est prévu pour la suite ?

Isabelle Gaudefroy : C’est toujours assez éclectique, par exemple l’exposition de deux architectes new-yorkais que nous ouvrons à partir du week-end prochain au rez-de-chaussée comporte tout un volet musical puisque le compositeur David Lang – leader de Bang on a Can, un groupe de musique expérimentale – a composé une partition pour l’exposition. J’ai cité Georges Aperghis à dessein car nous proposons un concert en début d’année prochaine avec l’Ensemble Ictus. Sébastien Roux qui est un jeune compositeur français, n’est pas du tout dans le rock et va faire un concert en décembre. On poursuit sur cette ligne, dans une idée vraiment d’ouverture et de variété. Dans les artistes qui sont produits, et avec qui on refera certainement quelque chose bientôt, il y a Meredith Monk, qui est revenue au mois de juin pour des concerts à la Fondation. On reste sur cette idée d’être le plus ouvert possible aux différentes musiques actuelles. Il faut peut-être ajouter que lors de l’exposition du week-end prochain, au sous-sol, se déroulera une exposition de Guillermo Kuitca, qui est une sorte d’oeuvre d’art totale, et pour laquelle il a repris, un peu en hommage aux trente ans de la Fondation, certains éléments de la collection de la Fondation, mais également l’enregistrement que nous avons réalisé de la rencontre entre Patti Smith et David Lynch, qui est une sorte de longue poésie lue par Patti Smith avec David Lynch jouant dessus.

 
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