Jeffrey Lee Pierce

Jeffrey Lee Pierce ? Si vous m’aviez parlé de ce type il y a quelques années, j’aurais tout simplement répondu « Pardon, c’est qui ? ». Et puis on se rend compte qu’il a toujours vécu en nous, que dans le chant émouvant et les guitares écorchées de nos idoles il y avait toujours une touche de JLP, un électron-libre de la musique et de la vie.

J’ai découvert le rock très tôt, captivé par l’homme des étoiles Ziggy Stardust et fasciné par l’écorché vif Elliott Smith, j’avais de quoi nourrir mes oreilles de bonnes mélodies venues d’ailleurs, du cœur ou des tripes certainement.

Et puis un beau jour, on découvre le rock français, les Noir Désir et ce fameux album 666.667 Club qui se finit en beauté sur Song For JLP. Résonnèrent ensuite ces paroles si intriguantes « What I feel, Tear is in my heart, You’re looking in the eye of a devil’s well … What I hear, Tear is in my mind, Looking in the eye of a devil’s well…« . De qui, de quoi parle-t’on ?

Tout s’explique ! Certaines intonations NoirDésiriennes viennent directement de là… De ce chant enflammé et intense, cet artiste qui faisait revivre le blues dans son essence : Jeffrey Lee Pierce.

Et pour la petite histoire, Bertrand Cantat a écrit cette chanson en hommage à JLP, dix minutes après avoir appris sa mort.


Les premières années, 70’s

Jeffrey commença tout jeune la guitare, à l’age de 10 ans. Son talent artistique se développa quand sa famille déménagea à Granada Hills en 1973. Étudiant brillant et créatif, mais très excentrique et original, il fait ses premières armes avec son camarade de classe Steven Tash, où ils commencèrent à fréquenter le Lee Strasberg Theatre and Film Institute à Hollywood. C’est un adolescent solitaire, dévoreur de livres, mélomane et amoureux de disques. Pierce écoute et lit beaucoup (c’est un inconditionnel de William Burroughs). Un amour pour le théâtre et la musique prend racine en Jeffrey lui permettant ainsi de révéler son talent artistique au petit monde qui l’entoure.

A partir de 1976, son amour de la musique s’intensifie et tend fortement vers le glam et le rock progressif, aimant en particulier des groupes tels que Sparks, Genesis, ou Roxy Music.

Et puis en assistant à un concert de Bob Marley lors de sa tournée Rastaman Vibration Tour (artiste pour lequel Pierce a été fasciné autant par la présence chamanique que par sa musique), Jeffrey est devenu profondément accro au reggae le poussant même à voyager jusqu’en Jamaïque pour étudier la musique. Il commence à écrire. Il devient le chroniqueur reggae du très influent fanzine Slash. Puis, admirateur de Blondie, dont il est le président du fan-club en Californie, il se teint les cheveux en blond en hommage à Deborah Harry. Comme une évidence, l’obsession de Jeffrey pour le reggae emmena ce dernier à interviewer Marley à la maison de sa mère sur Overland Avenue, dans l’ouest de Los Angeles. Quand le sensible rencontre le merveilleux …

Possédant un amour musical pour le blues ou le rock progressif sans oublier les sons reggae et roots, Jeffrey Pierce forme son premier groupe de power pop surnommé The Red Lights avec Anna Statman comme bassiste du groupe. Une démo du groupe s’ensuivit, permettant au groupe de jouer une poignée de spectacles avant de se dissiper.


The Gun Club Story

Un soir, l’alcool aidant, Pierce propose à Kid Congo de monter un groupe pour « faire chier le peuple » et « se faire payer des coups par les journalistes ». Le groupe est fondé à Los Angeles en 1979 sous le nom de The Creeping Ritual et est composé par son ami Kid Congo Powers (guitare), Don Snowden (basse), et Brad Dunning (batterie). Keith Morris suggère « Gun Club » à Jeffrey Pierce en tant que nom ‘original’ pour sa nouvelle formation. Il est emballé et ainsi The Creeping Ritual deviennent Gun Club.
Au courant de l’année 1980, le batteur Brad Dunning ainsi que le bassiste Snowden quittent le Gun-Club et furent remplacés par Terry Graham à la batterie et Rob Ritter à la basse.

En 1981 paraît un premier album : Fire of Love, considéré à ce jour comme un classique par de nombreuses critiques rock. Kid Congo qui a largement participé à son écriture s’éclipse avant sa sortie pour aller rejoindre les Cramps.

En 1982, le groupe déménage à New York pour enregistrer leur deuxième Miami. Cet album comporte non seulement Chris Stein en tant que producteur, mais aussi Debbie Harry. Miami a reçu de bonnes critiques mais a été largement critiqué pour la production de Stein. Rob Ritter quitte le groupe et est remplacé par Patricia Morrison, qui plus tard rejoindra les Sisters of Mercy, puis les Damned.
Le groupe connaît un succès grandissant, principalement en Europe, et tourne constamment, se permettant ainsi des tournées internationales.

Entre temps, sort The Las Vegas Story le troisième album studio du groupe et qui voit le retour du membre fondateur et guitariste Kid Congo Powers. A cause de quelques tensions entre certains membres du groupe, Jeffrey, Kid Congo Powers, et Patricia Morrison décident de dissoudre le groupe.

Il suffit ensuite d’une rencontre pour que The Gun Club nous offre son quatrième album studio.
En 1987, Jeffrey Lee Pierce fait la connaissance de Robin Guthrie de Cocteau Twins. Ils conviennent de travailler ensemble, et Robin produira Mother Juno. Un Mother Juno ou le comeback d’un groupe oublié en cette fin des années 80. Malgré les problèmes d’alcool de Jeffrey et le diagnostic récent d’une cirrhose du foie à 29 ans à peine, les fans croient au bon retour du groupe.

On oublie le blues et le punk, avec ce quatrième album Jeffrey et ses acolytes sonnent rock, voir hard-rock. De furieux cocktails électriques à des ballades lumineuses, un chant toujours à la limite de la justesse et dont la mélodie ne suit pas toujours les accords de guitare. Rageur et accrocheur, JLP nous livre ces tourments intérieurs et sa personnalité assez torturée sous forme d’un album synonyme de renaissance.

Retour à la maison en 1988, et la sortie du cinquième album tant attendu The Pastoral Hide & Seek en 1990 confirmant le comeback réussi du Gun Club.
Même s’il est enregistré dans des circonstances tendues en raison notamment d’une dépression et une santé déclinante de Jeffrey, les chef-d’œuvres ne manquent pas sur cet opus: Emily’s Changed, St John’s Divine, The Great Divide, Another Country’s Young, Temptation And I… Au moins la moitié de l’album, rien que ça, et une voix toujours aussi exceptionnelle.

Entre temps, l’état de santé de JLP s’aggrave et il assiste à de brèves réunions des alcooliques anonymes.

Nick Sanderson retourne au Gun-Club à temps pour enregistrer le dernier album du groupe, Lucky Jim. Les séances d’enregistrement sont hélas un désastre. Pierce est à son plus bas niveau et sa relation à long terme avec Romi Mori tire à sa fin.
Enregistré en Hollande, Jeffrey a un accès facile à de grandes quantités de drogues. Et bien que dans un état lamentable mentalement et physiquement, Jeffrey arrive avec prouesse à sortir un jeu de guitare phénoménal.

Lucky Jim dans les bacs, nous assistons à la fin tragique d’un génie à la voix phénoménale. Jeffrey est devenu complètement dépendant à la drogue et l’abus d’alcool, après le départ de sa copine Romi Mori, 1994, fut une année désastreuse pour Pierce.


Jeffrey Lee Pierce en solo

Jeffrey Lee Pierce quitte alors son Los Angeles pour Londres, puis voyagea beaucoup, notamment au Japon, pays où il retournera à de nombreuses reprises.

Mais on n’arrête pas un artiste bourré de talent. La rencontre avec la bassiste et guitariste japonaise Romi Mori (qui fut l’amour de sa vie et le quitta pour son batteur Nick Sanderson) donne lieu à l’écriture d’un magnifique album solo Wildweed en 1985, où ses cauchemars et ses rêves brillent comme une étoile filante.

On retrouve Jeffrey quelques années plus tard pour un deuxième album solo. Février 1992, JLP enregistre un album de blues Ramblin Jeffrey Lee histoire d’exorciser certains de ces vieux démons blues ! Pour cette nouvelle pépite, il fut rejoint par Cypress Grove à la guitare, et Willie Love à la batterie, ainsi que Carl La Fong à la basse acoustique et Kimberley S. au bluesharp.

Jeffrey Lee Pierce veut faire un album de blues, un vrai… Alors le grand homme pose sa couleur personnelle sur chacune des 9 reprises. Des reprises de bluesman connus par tous : Lightnin’ Hopkins (Good Times), Howlin Wolf (Moanin’ in the moonlight), Skip James (Hardtime Killin’ Floor Blues), Don Nix (Goin’ Down), Lightnin’ Slim (Bad Luck And Trouble). Sans oublier la country blues de Robert Wilkins (Alabama Blues).


1994-1996, les dernières années

En 1995, Keith Morris et Mike Martt ont tenté de convaincre Jeffrey de suivre une cure de désintoxication à hôpital Marina Del Ray, mais en vain.

Début 1996, JLP s’envole vers l’Utah pour vivre avec son père, Robert Pierce, dans un effort visant à remettre sa vie sur les bons rails. Il assiste ainsi aux réunions des AA et travaille sur son autobiographie.

Le 31 mars 1996, il décède des suites d’une hémorragie cérébrale, rejoignant ainsi, à 37 ans seulement, le paradis des losers exceptionnels.


Une influence majeure

La voix de Jeffrey Lee Pierce traverse nos cœurs à la manière des éclairs, une musique rapide teintée d’un punk-rock fulgurant qui prend sa source dans le blues traditionnel de Robert Johnson.

Il fut avec Gun Club l’un des groupes les plus importants de la scène punk américaine, influençant par la suite nombre d’artistes ou de groupes comme The White Stripes, Nick Cave, Lydia Lunch, Henry Rollins, Sixteen Horsepower ou Noir Désir en France qui, tous, sont partis du Gun Club, pour vite se retrouver ailleurs. La musique de Jeffrey et les Gun Club, se révélera être l’une des plus intéressantes mixtures musicales du début des années 80.