Après une chronique, brève, de Monstre Ordinaire, le dernier album de Lofofora, voilà une petite interview (ou pas) avec Reuno, un mec super sympa, disponible, très bavard et qui a des choses très intéressantes à raconter.  Donc première partie de cette interview, où on parle du groupe, de l’enregistrement de l’album et de plein d’autres choses…

Bonjour, après près de vingt ans d’existence, sept albums, plusieurs changements de line-up, qu’est-ce qui fait encore avancer Lofofora ?

Juste l’envie, le désir et une espèce de feu adolescent, je pense, que j’ai à l’intérieur ; que Phil a à l’intérieur, que Daniel a aussi à l’intérieur. Et je pense qu’on n’est pas près de mûrir sous certains aspects. J’ai un grand père de 93 ans qui est encore tellement connecté sur aujourd’hui, qui estime que l’on ne sait jamais tout et que l’on a toujours à apprendre et qu’on a toujours à découvrir. Bon déjà, à partir du moment où dans ta vie, tu es dans une démarche comme ça, je pense que ça aide dans ta création, que tu sois peintre, réalisateur ou musicien à avoir toujours envie d’expérimenter d’autres choses même s’il y a forcément le fait de toujours écrire la même chanson, forcement qu’il y a ce phénomène-là.

Et je pense que Lofofora, c’est une formule où l’on n’est pas cloisonné, ce n’est pas un carcan. C’est une formule qui fait que l’on peut se permettre de faire tout ce que l’on a envie. Tu vois au début, on a fait des morceaux un peu dub, on a fait des morceaux super trash, on a fait des morceaux plus orientés chanson, des trucs plus hardcore et ça reste du Lofo quand même, je pense.  Donc on a un petit peu une formule, c’est Phil qui m’a dit ça, à la fin des prises, on avait le sourire parce qu’on se disait que, quand même, il a de la gueule notre disque. Et Phil m’a dit un truc du style : « mais avec Lofo, on a une formule inépuisable » Et je pense qu’il n’a pas tout à fait tort. Tant qu’il y a de la passion et de l’envie et comme c’est né de ça, c’est devenu notre métier par accident.

Je fais un autre groupe à côté de Lofo qui ne me rapporte pas un rond, que je fais uniquement par plaisir avec des potes qui ont un vrai métier. Ça ne serait pas devenu mon métier, entre guillemets, parce que j’ai eu du mal à l’assumer pendant longtemps, je pense que ça serait toujours ma passion. Et je ferais toujours de la musique dans des caves, à jouer dans des bars.

Tu aurais toujours un groupe ?

Oui, oui c’est sûr, je crois que jusqu’à la fin de mes jours j’aurais un groupe.

Sur ta chaise…

Mais oui, bien sûr avec mon déambulateur. (rire)

Trop fort (rire)

Je mettrais des coups de béquilles dans la gueule de tous ces jeunes cons. (rire)

Ça c’est rock’n’roll.

Voilà (rire).

Vous venez de sortir Monstre Ordinaire, comment se sont passés l’écriture et l’enregistrement ?
La composition a pris un peu de temps. On avait commencé à essayer de composer, je crois fin 2008-2009, je ne sais plus, quand s’est barré notre précédent batteur. On avait quelques ébauches qui n’ont pas du tout vu le jour sur ce disque-là. Après notre batteur s’est barré un peu brutalement pour aller faire carrière dans le music-hall.

De ce fait on avait besoin d’un rockeur, à sa place. J’avais rencontré Vincent auparavant avec mon projet Mudweiser, lui avec son groupe ZOE. J’ai pensé à lui naturellement parce que j’aimais sa frappe, son style, son jeu et en même temps je savais qu’il connaissait très bien tout ce qu’on avait fait avec Lofo. C’est un petit peu le mec idéal, un mec un petit peu fan, au moins ça fait gagner du temps, même quand on lui a demandé : « tiens quel morceau te ferait plaisir de jouer, qu’on n’a pas sur la setlist ? ». Il nous sortait des morceaux et c’est lui qui me soufflait les paroles, c’était plutôt classe.

Après ce moment-là, on a commencé à l’intégrer dans le groupe en faisant des dates ensemble. Je pense que ce n’est pas plus mal parce que c’est là où ça se passe, un groupe de rock. A mon avis, c’est ça qui a permis qu’il s’intègre vite à l’histoire. Et, au moment de la composition, il se sentait déjà un peu chez lui, dans son groupe.

Prêt à donner ses idées.

Voilà, ouais, ouais. On l’a poussé comme ça dès le début. Bon après il y a des batteurs qui l’ont impressionné qui sont passés dans Lofo donc le mec se sent un peu obligé de vouloir faire comme ce qui existe déjà. Nous on lui disait : « tu t’en fous, réinterprète à ta sauce ». Et finalement, il s’est vraiment très très bien démerdé. Moi, il y a des parties de batterie, sur cet album, qui me font carrément vibrer. Je trouve qu’il y a des supers groove, c’est chaleureux.

Dans la compo et dans l’enregistrement plus que jamais j’ai senti une osmose humaine et musicale. J’avais l’impression qu’on se remettait à ressembler à ces groupes que j’idéalise parce que c’est bien gaulé et tellement soudé entre les instruments. Et il y a des moments où mes copains m’ont fait décoller, un petit peu comme ça. En tout cas ils arrivent encore à me surprendre. Ça fait plus de vingt ans que je joue avec Phil, douze ans avec Daniel et les deux, ils m’ont mis sur le cul plusieurs fois lors de la compo de cet album.

Comme il y avait une teneur assez sombre et, en même temps, il y avait de l’harmonie, il y a des harmonies entre la basse et la guitare, et donc, j’ai assez rapidement pensé à Serge Morattel de Rec-studio à Genève pour faire cet album, par rapport aux choses qu’il avait faites auparavant dans Knut, dans Houston Swing Engine, dans Spinning Heads, groupe dans lequel chantait un ami à moi, dans le sud de la France. Ce côté tellement patate qui tape à l’estomac mais en même temps qui brasse de l’air. Ce n’est pas une production étriquée super compressée, même si tu as une dynamique comme ça, tu as un son assez large et un côté corrosif, pas vintage, mais c’est presque comme si c’était enregistré sur de la vraie bande (rire). A l’ancienne. Serge, il sait faire. Maintenant, j’ai vu comment il travaille, avec du matériel d’aujourd’hui, évidemment, avec une console numérique, avec un ordinateur mais toutes ces techniques de placement de micro, d’enregistrement, de comment procéder, c’est des techniques qui viennent des années 60, purement. Donc c’est ça qui permet ce côté organique, je crois, qu’il y a dans ce disque-là, qui est assez chaleureux. Et c’est un album où il y a des aigus plus aigus que d’habitude, il y a des graves plus graves que d’habitude et je trouve ça très bien ! Ce n’est pas formaté dans le son, ça ne ressemble pas forcément à ce qui sort en ce moment. Et lui avait envie de reproduire l’énergie que l’on est capable de développer en live. Il trouvait que cela n’avait jamais été vraiment bien fait sur un album.

C’est toujours difficile

Ben oui.

Il n’y a pas le public derrière vous pour vous pousser, dans le studio

C’est ça et tu enregistres un peu chacun ton tour et les chansons, tu ne les maîtrises pas vraiment au moment où tu enregistres quelque part. On n’est pas de ces groupes qui ont les moyens de passer un an en studio pour enregistrer. Nous, on a passé deux semaines en studio, basta. On a eu quatorze jours, voilà, pas un de plus et il faut que tout soit dans la boite.

Peux-tu parler de ce Monstre Ordinaire ?

C’est un peu un constat. Tout est partit de ce titre. Souvent c’est le titre de l’album que tu trouves en dernier, qu’on galère, où c’est des discussions au sein du groupe et, souvent, ça finit par être le titre d’une chanson que l’on trouve assez représentative de l’état d’esprit de l’album. Là, il n’y a pas de chanson qui s’appelle Monstre Ordinaire, même s’il y a le mot monstre dans une chanson et il y a le mot ordinaire dans une autre. Et en fait je suis parti de cette formule Monstre Ordinaire pour écrire tout le disque. J’ai toujours été fasciné par la monstruosité, la monstruosité en tant que différence.

Pour l’anecdote, je ne sais pas si tu auras le temps de mettre tout ça.

T’inquiètes !

Pour l’anecdote, ma mamie, qui est encore vivante et bien vivante, qui a plus de 80 ans, m’a donné une carte postale qu’elle a ressortie d’une vieille boite, où elle a toutes ses vieilles photos, toutes ses vieilles cartes postales, comme ont toutes les mamies. Elle m’a sorti une photo, en fait, c’était une carte postale qui doit dater des années 40-50, qui devait trainer chez ma grand-mère quand j’étais petit, d’un cirque de lilliputiens. Tu regardes ça, c’est freaks. Ils sont une vingtaine avec leur petit costume, comme s’ils posaient pour une photo de classe. Et ma mamie, qui m’a donné ça, m’a dit : « Tiens, je t’ai retrouvé ça. Je pensais que ça te ferait plaisir parce que quand tu étais petit, tu voulais toujours voir cette photo-là ». Et moi, je l’avais complétement oubliée mais depuis super longtemps. Ça fait appel à une mémoire enfouie et ça m’a mis dans un état. Et peut-être que le fait qu’elle m’ait donné cette carte postale a contribué à ce que je m’intéresse à nouveau à la monstruosité.

Ça a différents aspects, la monstruosité. C’est les mythes, les légendes, les créatures qui te font peur quand tu es petit. La monstruosité c’est la différence chez les autres, la sienne on ne la voit pas, chez les autres ça en devient vite une. Et puis, la monstruosité de notre système qui est à peu près ce qui est de plus monstrueux au monde. Donc c’est un peu toutes ces monstruosités. J’avais écrit sur le deuxième album Peuh, « caricature obscène au carnaval du ridicule » et je trouvais qu’on était vraiment dans ce flot médiatique ambiant, politique business. Ouais, le politique show-business était vraiment d’un ridicule, d’une obscénité, pas l’obscénité des films porno, pas l’obscénité des mecs comme, je ne sais pas, Guillon ou Dieudonné ou je ne sais pas qui. Je ne parle pas de cette obscénité-là, je parle de la vraie obscénité. La vrai obscénité, c’est le manque de respect, c’est la condescendance, ça c’est monstrueux, enfin, c’est obscène. Et je trouve qu’on est passé d’un état d’obscénité, à un état de monstruosité. Regarde ce qui se passe économiquement avec les banques, et on accepte en plus, on se dit que c’est comme ça. On est quand même les plus nombreux, on est les 99% de la population à se débattre avec les miettes. C’est quand même nous les patrons, c’est quand même nous les plus nombreux. Seulement, le processus est « il faut diviser pour mieux régner », et même on a dépassé ça, c’est plus il faut diviser pour mieux régner, c’est « il faut éliminer ton ennemi à tout prix pour exister ». On est dans la civilisation maillon faible aujourd’hui. Et tout fonctionne comme ça et c’est hyper monstrueux. Il y a un système monstrueux qui pousse les individus à avoir eux-mêmes des comportements monstrueux.

Enfin on est dans une époque où il y a des enfants qui se suicident, ça n’existait pas avant, c’est dramatique. Il y a des gens qui se suicident au travail, je sais plus tous les deux jours ou les trois jours, depuis quelques années. Et ça on en entend pas parler, pas du tout, parce que ça, ça dérange. Tu vois d’un seul coup la purée, elle va avoir un goût de vinaigre, tu vois ce que je veux dire ?

Oui…

C’est parce qu’on est dans une cuisine, donc préparez-vous à des allégories culinaires. (rire) Non, mais heureusement, on garde le sourire. Enfin, je crois, un peu comme les africains, que je ne connais pas très bien – enfin j’en connais, mais je ne suis jamais allé là-bas – dans les mots, dans le sourire, dans le regard de beaucoup d’africains que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir et qu’il faut continuer à y croire. Et je trouve que nous autres occidentaux, on se résigne un peu très vite et qu’on va vite s’accrocher à notre frigo, notre bagnole, notre crédit en espérant que tout ça ne disparaisse pas, parce que c’est ce qui remplit nos vies, alors que c’est du vide. Voilà, remplissons nos vides de sentiments, d’émotions, d’expériences.

Aujourd’hui les mots sont bafoués, alors ça fait vieux con de dire ça. Mais quand tu regardes une émission de merde, un reality show, les mecs, ils parlent d’aventures. Mais c’est quoi l’aventure ? Non, l’aventure, ce n’est pas ça. L’aventure ce n’est pas se trimballer avec des caméras sur ton dos 24 heures sur 24. C’est tout sauf ça, l’aventure. Au même titre que le mot star, n’importe quelle pétasse qui a fait deux films de cul, ça devient une star. Alors qu’avant, il fallait s’appeler James Dean ou Marilyn Monroe pour être une star. On est passé au stade où n’importe qui est une star, où n’importe quoi est une aventure. Donc on a rabaissé tout ce qu’il peut y avoir de palpitant à quelque chose de complétement insipide, ce qui fait que les gens ne pensent même plus que le palpitant existe.

Enfin, je fais des généralités, des raccourcis parce qu’on n’est pas dans un débat de quatre heures non plus, même si je fais des réponses très longues.

Pas de souci, tu fais les réponses que tu veux.

Et j’y compte bien.

Et moi aussi. (rire)

Qu’est-ce qui t’inspire pour l’écriture ?

Déjà tout ce qu’on vient d’évoquer, là, une espèce de quotidien. Je ne sais pas, c’est pour ça j’ai fait un morceau qui s’appelle Elixir parce que des fois j’aimerais bien pouvoir déconnecter mon cerveau et me dire que ce n’est pas grave, avaler la purée et la trouver délicieuse.

Avaler la pilule et la trouver très bonne ?

Ouais, ouais, voilà. Mais, moi, elle reste coincée en travers de la gorge comme si c’était une pastèque, une pastèque acide. Et donc, c’est forcément ça qui m’inspire et d’autres gens, d’autres gens qui créent aussi donc leur vision du monde. J’aime beaucoup le street art, je m’intéresse beaucoup aux graphistes, aux gens qui font de l’illustration. Je suis un gros fan de Charles Burns, c’est un dessinateur de bandes dessinés qui vraiment m’inspire beaucoup. J’adore ce qu’il fait, j’achète, à pas cher, des lithographies, j’ai des sérigraphies de Charles Burns parce que j’ai l’impression de voir en noir et blanc, comme lui, par moment.

Et puis, je ne sais pas, les Frères Cohen et leur cinéma. Je ne sais pas, réécouter des albums de Jacques Brel, de continuer à écouter Bashung.

Tout ça m’inspire. Je m’inspire un peu de tout, des fois ça va être des discussions après un concert avec des gens. Là, j’étais en tournée avec Mudweiser, j’ai rencontré un type en Bretagne, qui travaille la terre et qui m’a dit : « Vous dans les villes, le jour où ça va péter vous avez de quoi bouffer pendant quatre jours. Comment vous allez faire ? Vous allez venir chez nous. Et nous, on vous accueillera à bras ouvert. Et bon, faudra peut-être mettre la main à la pâte. » Il me disait que le vrai truc aujourd’hui, qui est important c’est de mettre des graines de côté.  Et c’est vrai qu’on va arriver à ça bien plus vite que l’on imagine. Qui a confiance en Monsanto aujourd’hui ?

Pas moi.

Moi non plus. Plus dans le gars que j’ai croisé l’autre jour en Bretagne. Donc voilà, je l’ai rencontré là, mais je pense que la discussion, tout ce qu’il m’a raconté, ça prendra forme peut-être un de ces jours dans un texte, donc ça aussi ça compte beaucoup.

Lofo, c’est une histoire d’échanges, de mélanges. Même si j’écris tous les textes, c’est pourtant signé, à chaque fois, paroles et musiques Lofofora parce que c’est une aventure, pour le coup, j’ai l’impression d’en vivre une pour de bon (rire). C’est cette histoire, cette aventure qui me pousse à écrire ces choses-là, à ne pas les signer de mon nom parce que je pense que je suis juste à un moment un émetteur-récepteur qui réinterprète à sa sauce ce qu’il a entendu et qui a envie de le partager. Parce qu’il y a des gens qui me disent des choses intéressantes et j’ai envie de le répéter à ma manière, voilà.

A suivre…

Photos © Eric Canto.

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