L’événement Lacan Rockeur est un peu différent de ce qu’on a l’habitude de voir dans les chroniques de Désinvolt. Entre conférence de psychanalyse et concert, l’objectif de cette journée est d’analyser les liens qui peuvent exister entre certains concepts psychanalytiques et la musique actuelle, allant du blues à la techno.

Le bal s’ouvre à 15h, dans la petite salle de l’auditorium à la Gaité Lyrique, par l’intervention de la psychanalyste Manuella Rebotini. Intitulé Rollin’ and Tumblin’, le discours s’attache à passer au crible l’histoire de la naissance du rock, à travers le prisme des théories proposées par le psychanalyste Jacques Lacan (appelées aussi théories lacaniennes).
Ainsi, Manuella Rebotini souligne que le blues a été créé par des hommes dont le lien de filiation avait été coupé. Par la musique, ceux qui la jouaient ont pu combler un manque et rassembler autour d’eux les exclus de la société. Par la transmission des morceaux et d’un état d’esprit qui leur est associé, ces hommes ont pu recréer un système de filiation.
Le rock’n’roll est perçu comme une version électrifiée et accélérée du blues. Il met en avant la fonction du rythme et le rapport au corps.
L’avènement des musiques actuelles est alors analysé à travers sa dimension sexuelle. Une partie du discours est consacrée à l’incroyable déhanché d’Elvis. Au fur et à mesure de l’évolution de la musique à partir du rock’n’roll, les machines prennent de plus en plus de place et détrônent parfois l’humain, comme dans la techno. La prestation est conclue par un petit clin d’œil à Lacan considéré comme assez « glam » avec son manteau de fourrure et ses allures de dandy, et une référence au surnom de Freud : Siggy, qui rejoins le Ziggy Plays Guitar de David Bowie.

Black Strobe s’installe derrière les instruments et réchauffe l’ambiance un peu solennelle de la conférence. Mené par un Arnaud Rebotini aux allures de vieux crooner, ils nous interprètent, entre autres, une version électronique de Folsom Prison de Johnny Cash, et I’m a Man de Bo Diddley. Ces excellentes reprises mêlant blues-rock et claviers électroniques se retrouvent sur leur album Burn Your Own Chrurch. Celui-là est un vrai réservoir à tubes vintage sublimés par la voix d’Arnaud Rebotini et ses fidèles musiciens : Mathieu Zub, Benjamin Beaulieu et Mathys Dubois, tous multi-instrumentistes.

[youtube]http://youtu.be/7hdL65J8m9A[/youtube]

Arnaud Rebotini s’installe ensuite en compagnie de Nicolas Dissez, psychiatre et psychanalyste, et de Marc Morali (psychanalyste). La discussion s’oriente autour de la base commune des musiques actuelles. Celles-là sont issues principalement des musiques populaires qui ont donné naissance à la country et au blues. Les concepts de filiation et de rythme sont rediscutés à la lumière des connaissances musicales d’Arnaud Rebotini. Il est aussi évoqué le côté cool de l’exclu, qui en fait quelqu’un à qui tout le monde veut ressembler. La fonction du leader dans les groupes de rock se trouve au contraire quasi annulée dans la musique électronique, où le rythme est primordial. Les concerts et les festivals de musique sont comparés à des messes laïques. On voit se dessiner tout au long de l’échange l’apport de la musique à la psychanalyse, dans la compréhension qu’elle permet des mouvements collectifs et individuels.

L’après-midi se poursuit avec Lelo Jimmy Batista, rédacteur en chef de Noisey France, Alexis Bernier rédacteur en chef de Tsugi et Francois Buot, biographe. Lelo Batista ouvre l’échange en présentant son média et le magazine Vice, qui privilégie un discours frontal, parfois clivant, issu du journalisme gonzo des années 70. Dans cette même lignée, Alexis Bernier et François Buot présentent une figure mythique des nuits parisiennes, Alain Pacadis. Il a écumé les boîtes mythiques du Paris des années 80 et a publié ses chroniques remplies de solitudes dans les colonnes du journal Libération. Les intervenants nous décrivent un homme à la destinée tragique qui a pu rencontrer les people et autres stars, tout en rendant compte de l’immense solitude qui peuple parfois le monde de la nuit. Ce portrait rend compte de la part sombre qui accompagne le succès et les idoles du rock depuis l’avènement de cette musique. Une face obscure, parfois ponctuée de drames et marquée par l’addiction.

Une courte pause permet de prendre un peu l’air avant le concert des ColettesDiane Sorel au chant, Delphine Ciampi à la guitare, et Anne Gouverneur au violon, nous offrent une belle prestation, entre rock progressif et folk vocal, particulièrement efficace. Le chant oscille de la douceur à la tension, et prend une dimension puissante dans des montées proches du cri. L’instrumentation est très intéressante, avec de gros riffs de guitare qui sonnent bien blues, et des passages au violon d’une mélodicité sans faille. Les chœurs soutiennent le chant de Diane et les parties de pizzicato au violon soulignent le côté folk irlandais de l’ambiance musicale. Le set reprend quelques morceaux de leurs albums Les Colettes et Children, que l’on vous conseille chaudement!

[youtube]http://youtu.be/fSv9ERqIoc0[/youtube]

Les Colettes sont ensuite invitées à rejoindre Laurence Pierre, journaliste, et Marie-Charlotte Cadeau, philosophe et psychanalyste. La réflexion s’ouvre sur la voix de Diane, et plus généralement, sur le fait qu’un psychanalyste écoute des voix toute la journée. L’échange glisse rapidement sur la place des filles et du féminin dans le rock. Quelques remarques assez clichés sur le lien entre féminisme et musique faite par des femmes amènent Les Colettes à réagir. La figure de Nina Hagen est évoquée, et une réflexion très intéressante sur la capacité à utiliser les silences en musique relève un peu le niveau. Les Colettes apportent un regard nuancé et critique sur leur position de femmes faisant de la musique. Elles ouvrent le débat et démontrent qu’elles sont aussi à l’aise dans le divertissement que dans le débat. Manuella et Arnaud Rebotini proposent leurs réflexion sur la question et évitent le clivage masculin-féminin. Delphine termine de façon poétique en évoquant la notion de rêverie nécessaire à la création artistique.

Arnaud repasse au centre de la scène et entame une impressionnante démonstration de musique électronique. Il lance un rythme binaire qui évoque la musique de free-party, puis ajoute des loops et des oscillateurs afin de créer une enveloppe mélodique autour du motif de base. La démonstration a presque un côté absurde. Si quelques spectateurs dodelinent de la tête et sont visiblement contemporains et touchés par cette musique, une partie du public ne comprend absolument pas de quoi il retourne. Le décalage socio-culturel se creuse entre des psychanalystes âgés d’au minimum la soixantaine et une musique qu’on pourrait retrouver dans les clubs voisins de la Gaité Lyrique.
C’est aussi ce qui donne à après-midi tout son intérêt : la possibilité de faire se rencontrer des gens qui, a priori, n’ont rien en commun. Néanmoins, au fur et à mesure que la musique se déroule et qu’Arnaud poursuit son cours de techno, quelque chose se passe, et s’ouvre dans la salle. Cette musique dit beaucoup de choses de la société dans laquelle elle a émergée.

Marc Morali conclura cette intéressante rencontre en évoquant Miles Davis et le souvenir qu’il a gardé de son dernier concert. Ainsi, juste avant sa mort, Miles Davis avait donné un concert qui se terminait par l’abandon du public devant un mur de baffles. Pour notre interlocuteur, ce départ, qui signait la fin de la vie et de la carrière de Miles Davis, représentait bien la transition homme-machine qui allait s’opérer par la suite dans la musique contemporaine. Cette « Rencontre musicale entre le rock’n’roll et quelques silences psy« , comme elle nous a été présentée, a permis de réunir psys, journalistes et musiciens autour du sens que la musique a pris dans notre société et pour les individus qui la composent. Une initiative intéressante et d’une grande richesse, qu’on aimerait voir reconduite plus souvent !

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