Pierre Perret a écrit Le Zizi, ça oui, on a compris. Mais sa plume ne s’est heureusement pas arrêtée là. Si elle sait se montrer coquine, grivoise, ce n’est pas le seul vecteur d’expression de son immense talent. Perret sait être tendre, juste, humain tout simplement. Il sait véhiculer des émotions sans pareil. Son oeuvre est une montagne, en quantité, en qualité, en variété. Et dans cet amoncelement de jolies choses (Lily, Je suis de Castelsarrasin, Au café du canal…), une merveille, La Petite Kurde.

Sortie en 1992 sur l’album Bercy Madelaine, cette chanson comporte une charge émotionnelle rare, soulignant l’excellence de l’écriture de Pierre Perret. Le narrateur s’adresse à une petite kurde, victime potentielle de l’Anfal. L’horreur n’a pas de camp, et ce que s’apprête à vivre cette petite fille a déjà été vécu, ailleurs par d’autres gens, d’autres coupables. Pierre Perret prévient la fillette du danger qui la guette, pour elle et ses proches. Quand la haine dépasse les bornes, il n’y a plus que la fuite.

Pierre Perret se place en victime passée, pour mieux d’écrire l’horreur qui arrive, que l’innocence est impuissante face à la barbarie militaire. Et le souvenir qui hante à vie, celui de voir, à travers ses yeux d’enfants, tomber les gens qu’on aime, humiliés dans leur dignité d’Homme. Et que survivre à cet enfer n’est pas forcément un cadeau. Fuir avant qu’il soit trop tard, pour mourir en Europe, le dos courbé sous les efforts, et les regrets d’une vie passée.

Le texte:

Petite si tu es kurde, écoute-moi
Il faut partir et quitter ton chez-toi
Moi, j’ai connu ton sort
J’ai tutoyé la mort
On n’a jamais raison contre un soldat.

Ils étaient cent autour de ma maison
Aux murs, y avait de l’ail et des poivrons
Le vent était si doux
Le ciel était si clair
Et mon père est tombé dans un éclair.

C’était un matin calme de septembre,
Ils ont amené ma mère dans la chambre
Grand-père dans ses mains
Pleurait comme un enfant
Dehors on entendait hurler Maman.

Grand-mère faisait du pain dans la cuisine
Elle s’effondra le nez dans sa farine
Et sur son cœur éclôt
La fleur d’un géranium
Dernier hommage qu’elle ait reçu d’un homme.

Grand-père à coups de crosse dans le dos
Implorait la pitié de ses bourreaux
J’entendais les soldats
Qui riaient tant et plus
Et Maman sur son lit ne criait plus.

Puis soudain le soleil s’est endeuillé
Les obus éclataient comme des œillets
La mort faisait ripaille
Jusque dans mon jardin
Il n’y poussait plus que des orphelins.

La pluie qui avait cousu tout l’horizon
Faisait fumer les ruines des maisons
Et tout en s’éloignant
Du ciel de Babylone
Je compris que je n’avais plus personne.

N’écoute pas les fous qui nous ont dit
Qu’ la liberté est au bout du fusil
Ceux qui ont cru ces bêtises
Sont morts depuis longtemps
Les marchands d’armes ont tous de beaux enfants.

Depuis la nuit des temps c’est pour l’argent
Que l’on envoie mourir des pauvres gens
Les croyants, la patrie :
Prétextes et fariboles !
Combien de vies pour un puits de pétrole ?

Petite, si tu es kurde, il faut partir :
Les enfants morts ne peuvent plus grandir.
Nous irons en Europe,
Si tel est notre lot…
Là-bas ils ne tuent les gens qu’au boulot !

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