Il m’arrive souvent, très souvent même, d’être fasciné par les chanteurs morts, si tôt disparus. Dans le livre de Dominique A, y a une phrase qui dit : «Quand on entend chanter des choses avec un peu de substance, on ne peut que s’entraîner à être un bon chanteur mort. Ce qu’on crée ne prendra toute sa mesure que lorsqu’on aura disparu.». Y a eu tous ces génies qui à force d’innover, ont souvent flirter avec la mort. Ces écorchés qui sont morts au sommet de leur art, sans avoir eu le temps de vieillir ou de décevoir.

Dans ma petite piaule, bercé par tous ces saltimbanques et funambules, j’écoute d’une façon qui ne peut-être la plus normal ces artistes/groupes dont on ne peut malheureusement plus rien attendre. Je reprendrai les mots de Cécile qui, en évoquant Elliott Smith, dit sur son blog Words And Sounds « Je ne sais pas pourquoi, mais même si j’adore Elliott, l’entendre sonne comme une résurrection glauque. Il m’est impossible de l’écouter sans déplorer son absence, et sans avoir l’impression de ne pas le laisser en paix là où il est. »

Alors pourquoi écrire un article sur ces êtres partis si tôt ? Pourquoi pondre un article qui pour certains ne sera qu’une banalité ressemblant à l’exercice d’un élève de 3ème qui a eu un devoir à faire sur le sujet artistes/mort.

Pourquoi alors … Ben juste pour partager cet amour pour ces artistes, qui trop souvent oubliés, redeviennent des poules aux œufs d’or pendant que les majors se frottent les mains à chaque anniversaire … de leurs disparitions. La mort rime avec ouvriers d’outre-tombe qui ne connaitront jamais le loisir de goûter au repos éternel. Quelle belle révérence !

Elliott Smith

Ma phase Elliott Smith (qui continue d’ailleurs) a commencé dès mes 13 ans avec son album Either/Or qui a « changé » ma vie petite chronique [ici]

Elliott Smith, un être sombre, une lumière musicale. Marqué très tôt par la violence, l’alcool et la drogue, il trouve en la musique une porte de sortie à son quotidien morose et qui est loin d’être si parfait. Il côtoie dès son jeune âge le piano qu’il apprend à 9 ans et où il brille très rapidement puisqu’il commença à composer à l’âge de 10 ans. Première rencontre avec la guitare à 12 ans avec laquelle il essaie studieusement de reproduire des solos de Led Zeppelin ou d’AC/DC.

S’ensuivit une adolescence sombre entre l’alcool et la drogue, période duquel il commença à enregistrer ses premiers morceaux.

Comme disait Saez dans son livre « A Ton Nom » : « Et puis le lycée : la course de l’élite ! La compétition du savoir pour les classes préparatoires : préparatoires à quoi? On ne sait pas, mais préparatoires. ». N’empêche, pour Elliott ça rimait encore plus avec « Musique ». En effet, c’est au lycée à Portland, qu’il intègre un premier groupe : Stanger Than Fiction, dans lequel il prend parfois le nom de Johnny Panic, mais aussi un projet du nom de A Murder of Crows. Les compositions d’Elliott sont très sombres, évoquant les thèmes de la solitude et du désespoir, thèmes qui ne le quitteront plus jamais et qu’on retrouvera par ailleurs dans ces futurs œuvres.

Puis vint la fac, Elliott s’inscrit dans un cursus de philosophie et de science politique, laissant pour un moment à sa mère cette espérance de voir son fils ‘juriste’… Heureusement, ce fut pas le cas. Il rencontra par ailleurs un certain Neil Gust avec qui il partage l’amour de la musique post-punk. Ils fondèrent ainsi Heatmiser avec un bassiste nommé Brandt Peterson et Tony Lash comme batteur. Deux ans après sort leur première galette : Dead Air.

Elliott se lasse très vite des idées et volontés de son groupe -un peu trop « fabriquée », et leur attitude à bousiller ses compositions- mais aussi de la vie de rock star. Heatmiser quitte le monde musical en 1996 avec Mic City Sons, troisième et dernier album du groupe. Album qui vaut qu’on lui prête une oreille attentive. Il reste l’opus le plus proche de la production solo d’Elliott Smith, contenant ainsi deux petites merveilles « Plainclothes Man » et « Half-Right Man ».

Dans la foulée, Elliott Smith sort Roman Candle en 1994 où on retrouve la chanson « Condor Avenue » qui fut entièrement composée à 16 ans. Véritable petit bijou dans lequel le tatoué américain ressasse ses vieux cauchemars et que beaucoup considèrent comme son meilleur album. Des guitares qui s’entremêlent, une voix bouleversante et d’une honnêteté absolue. Un artiste au style unique est né !

Et le génie ne s’arrête pas la, il livre un deuxième album à peine un an après son premier qui sort le 21 juillet 1995 prenant pour titre le nom de … son compositeur. Choix étrange mais bon … Le disque est somptueux et comporte plusieurs des plus belles compositions d’Elliott : Needle In The Way, Clementine, Coming Up Roses, The Biggest Lie, …

1997 sort la pépite Either/Or qui marque un tournant dans la musique d’Elliott Smith et devient donc soudainement très connu.

Chronique de l’album plus en détail [ici]

Alors que la France savoure son sacre mondial au ballon rond, la vie d’Elliott commence à se détériorer, ce qui l’amène à faire plusieurs tours par des hôpitaux psychiatriques pour troubles de la personnalité et ses problèmes avec la drogue qui n’en finissaient pas.

Après le grand succès de l’album Either/Or et du morceau Miss Misery, Elliott signe chez DreamWorks Records, mettant fin dans des circonstances plus ou moins mystérieuses à son contrat avec Kill Rock Stars et sera vu par certains comme une trahison. Ainsi il quitte le monde du rock indé, disaient-ils.

L’album XO, premier disque donc avec Dreamworks, sort en juillet 1998 et est sacrément exceptionnel. Au détour de quatorze titres, de « Sweet Adeline » à « Bled White », et d’une voix unique, marqué par une tel noirceur et mélancolie, XO est un coup de maître, et surtout l’album d’une vie, le parfait exemple de ce que doit être LE disque pop-rock. Cet album se vend, de son vivant, à 200 000 exemplaires et devient ainsi le disque le plus vendu de sa carrière.

Mais malgré ce succès et les tournées mondiales qui s’enchainent emmenant Elliott jusqu’au Japon ou en Australie, la vie de cet être si touchant commença à partir de plus en plus en vrille.

Figure 8 qui fait référence à la figure de patinage ou le patineur trace un « 8 » avec ses patins, est plus électrique, plus rock, mais toujours la touche d’Elliott Smith marqué par la voix, la mélodie et les thèmes qui le hantaient.

Figure 8 est une sorte de retour en arrière vers des origines folks assez beatlesienne. Pour la petite histoire, Elliott enregistra aux mythiques studios d’Abbey Road où il a surement croisé les fantômes de ses idoles.

Et puis qui dit nouvel album dit promo et encore une nouvelle tournée mondiale qui affaiblit encore plus Elliott Smith et malgré les photos promotionnelles montrant un personnage en bonne santé, son apparence physique et sa santé se détériorent. Le chaos ! Pire qu’un Damien Saez et ses mythiques « Je ne me souviens plus des paroles », le songwriter est victime de trous de mémoire et est sur certains concerts dans l’incapacité à jouer de la guitare. On assiste à la fin d’un ange si fragile. Juste après la tournée de Figure 8, Elliott est devenu complètement dépendant à l’héroïne et montre aussi sur scène des aperçus de son état dépressif : visage barbu et cheveux longs et gras, sans oublier les performances lives plus que chaotiques.

Et pourtant l’artiste semble encore capable de nous offrir encore de belles ballades magiques et commence ainsi à partir de la fin de l’année 2001 à travailler sur un nouvel album, qui devait être un double album, « From a Basement on the Hill« , dans la lignée du White Album des Beatles.

La descente aux enfers. Il passe par une période très sombre qui va l’amener pas loin de la folie. Et puis au début de l’année 2003, le miracle se produit : Elliott revient sur scène, souriant et apparemment en forme. Il partage sa joie avec ses fans en leur offrant des chansons de tout son répertoire allant jusqu’à des reprises acoustiques de chansons de Heatmiser et cerise sur le gâteau : le retour de « Miss Misery » qu’il ne jouait quasiment plus en live depuis sa performance aux Oscars en 1998.

Et puis on finit par croire que les miracles n’existent pas vraiment, on descend de notre nuage et on se prend la nouvelle en face. Incompréhension, refus d’y croire mais ce 21 octobre 2003… Elliott se suicide de deux coups de couteau portés à la poitrine, sans raison apparente, laissant pour dernier adieu, une simple note « I’m sorry, love. Elliot, God forgive me… »

L’album « From A Basement On The Hill« , l’album maudit, celui même qu’on désespérait de voir sortir un jour, apparaitra un an plus tard, de façon posthume.

Le manque est finalement déjà là, toujours là et sera encore là, ce manque d’un artiste si talentueux et surtout attachant. Un de ces êtres qui d’une gratte, un piano et une voix unique, a pu changer ta vie. Elliott Smith est le plus grand créateur de mélodies depuis les Beatles et nous livrait une musique qui s’imposait sans pudeur, cette musique qui nous retournait l’estomac, nous écorchait sans demander pardon. Elliott un ange étrange, bouleversant, dérangeant et émouvant.

Finalement, mon rêve de gosse ne s’est jamais réalisé : Voir sur scène celui qui a semé du bonheur dans ce cœur en miettes

Tu me manques …