La salle de la Fondation Cartier est un cube translucide sur deux de ses faces. Une lumière bleutée éclaire la scène, le jardin est orné de lumières vertes qui donnent au décor un côté un peu surnaturel. Ici, on attend deux légendes du rock. Un an après la mort de Lou Reed, les musiciens qui se produisent ce soir sont les dernières pierres d’une époque révolue. « Personne ne mérite qu’on se prosterne » lâche un cameraman qui cherche l’angle de prise de vue idéal. L’ambiance générale oscille entre dévotion et scepticisme.

FC-Concert-Patti-Smith-John-Cale-4 © Olivier Ouadah

Patti Smith s’avance, affublée d’une veste informe, d’un T-shirt clair et d’un jean délavé. Elle paraît étonnamment jeune et souriante. Elle se montre lumineuse, pleine d’une énergie positive qui réchauffe la salle. Le bal s’ouvre dans une atmosphère décontractée avec Redondo Beach dans une version très blues et beaucoup moins reggae que l’originale. La voix est claire, d’une jeunesse à toute épreuve. Elle enchaîne avec Ghost Dance et illumine la scène de sa chevelure gris-blanc. C’est presque un voyage dans le temps qu’elle nous propose. Les sonorités très seventies du chant et de l’instrumentation contrastent avec le look et l’humeur du public. Elle poursuit le show en déclamant la fin du long poème Howl d’Allen Ginsberg – grand écrivain de la beat generation – qui commence par la répétition du mot « Holy ». Elle rend hommage à l’œuvre de Ginsberg et à sa personne, en tant que poète, mais aussi activiste, intéressé et concerné les gens qui l’entouraient : « We salute and remember him ».

Le morceau suivant We Three a été écrit en 1974 alors qu’elle se produisait au club underground CBGB à New-York avec le groupe Television. Elle souligne qu’il lui rappelle les moments précieux de cette époque. L’introduction au piano est envoûtante et pleine de nostalgie. Elle prend la guitare acoustique pour Beneath the Southern Cross, qu’elle décrit comme une chanson pour les personnes disparues qui nous manquent. Elle évoque les grands-parents, l’être aimé, un frère ou une sœur, un ami ou un chat bien-aimé (« beloved cat ») ce qui amuse pas mal le public. Dans une tirade aux consonances hippies, elle rend hommage à tous les êtres vivants qui peuvent nous être précieux et que nous aimons, en ajoutant, un peu ironiquement, qu’un chat peut être plus important qu’un être humain s’il est un bon chat, ce qui déclenche un rire général et achève de dérider une salle un peu fraîche. Le ton est décomplexé et les musiciens Lenny Kaye et Tony Shanahan, dont il faut souligner les superbes vocaux, semblent s’amuser autant que Patti Smith.

Seneca sera la seule chanson récente de l’artiste, tirée de l’album Banga sorti en 2012. Tous les autres morceaux ont été écrits il y a plus de vingt ans. Pissing in a River suit avec son solo de guitare soutenu par un piano mélancolique. La voix douce au départ se fait puissante et rocailleuse. Au passage, elle incendiera copieusement le cameraman qui lui plante l’objectif sous le nez et gêne les spectateurs. Elle dédie le très attendu Because the Night à Fred « Sonic » Smith, et après quelques notes, demandera au pianiste pressé de ralentir le rythme en soulignant que Fred Smith était plutôt du genre cool dans son écriture de la musique. Le public reprend d’une seule voix le refrain et Patti Smith lui laisse la place en souriant. La salle est aux anges et l’accompagne en frappant des mains avec enthousiasme. La prestation se termine sur le morceau Bird Land chanté en hommage à John Cale.

 

FC-Concert-Patti-Smith-John-Cale-5 © Olivier Ouadah

L’ancien du Velvet Underground s’installe derrière ses machines et son clavier Kurzweil, accompagné par de jeunes musiciens impressionnants de dextérité. Le compositeur arbore un élégant costume gris sur chemise noire, le tout assorti d’une cravate blanche, ce qui contraste avec l’allure un peu grunge de Patti Smith. Le set s’ouvre sur une version sépulcrale de Hedda Gabler qui donne la couleur expérimentale de la prestation. Les sons se retrouvent étirés, les guitares se tordent tout en restant dans des harmonies et des tonalités cohérentes. Il invite la poétesse à le rejoindre pour Captain Hook, initialement présent sur l’album Sabotage/Live paru en 1979. Patti Smith ouvre le morceau en déclamant un poème qu’elle lit directement sur livre. Le tout prend des allures de performance poétique. La voix de Cale enveloppe doucement l’oreille, puis les deux chants se mêlent, portés par un clavier hypnotique et posent une ambiance quasi sacrée au sein de la Fondation Cartier.

Patti Smith quitte la scène et John Cale poursuit avec le dynamique December Rains issu de son dernier album Shifty Adventures In Nookie Wood paru en 2012. Il prend la guitare pour You know more than I know soutenu par un batteur solide et un second guitariste aux chœurs chaleureux. Il enchaîne avec Praetorian Underground suivie d’une version surprenante de Caravan. La batterie sonne hip-hop et les guitares sont teintées de psychédélisme, on entend comme des accents de Portishead dans la couleur sonore du morceau. Dans le même esprit, des samples fous envahissent la salle sur A Letter from Aboard, qui laisse entrevoir toute la puissance du chant de Cale. Les « Can you hear it? Can you feel it? » retentissent comme des imprécations à travers les murs de la Fondation Cartier. Le bassiste tourture son instrument à coups d’archet de violoncelle. S’ensuivent quelques morceaux du dernier album, puis Patti Smith et ses musiciens reviennent sur la scène pour un People Have the Power joyeux et ludique qui a des allures de bœuf entre potes.

C’est un beau concert que nous ont offert les deux artistes. Chacun, dans une dimension qui lui est propre, a pu ramener l’essence de sa musique et de ce qui l’a construite depuis l’origine. La Fondation Cartier a vibré d’un son rock aux accents punks et expérimentaux. Patti Smith est comme chez elle, crache par terre, jette ses feuilles sur un public qui se les dispute, raconte de petites anecdotes rigolotes et rend à chaque chanson un hommage aux personnes qui l’ont accompagnée. John Cale est dans une posture plus intimiste et plus pensive, c’est l’expérimentation sonore qui est mise à l’honneur avec une part belle laissée aux musiciens. Ils ne feront pas de rappel malgré les applaudissements longs et insistants d’un public globalement conquis.

Photos par Olivier Ouadah.

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