Ce qu’il y a de bien avec Eiffel, c’est qu’avec une simple question anodine (ou pas), on arrive à parler de plein d’autres choses et à passer d’un sujet à l’autre avec une facilité qui fait presque oublier qu’on est juste venus avec quelques questions pour faire comme les ‘vrais’ journalistes… Et à un moment on n’est plus dans l’interview, on est dans la discussion informelle et c’est ça qui est beau avec Eiffel. Bon, après quand il faut retranscrire tout ça, on regrette un peu (ou pas)…

J’ai vraiment l’impression que les thèmes que tu abordes dans tes chansons évoluent au fil du temps : tu es passé de chansons adolescentes sur Abricotine à quelque chose de plus mûr, plus engagé : ta musique évolue avec toi, non ?

Romain : Je ne sais pas, on n’a jamais trop été engagés au sens…

Non, pas engagé, stricto sensus, mais plus concerné par ce qui se passe…

Romain : Oui, ça c’était dès Le Quart d’Heure Des Ahuris, même sur Abricotine un petit peu
Nicolas Courret : : Même avant…
Romain : Sur Oobik And The Pucks…(Rires)
Nicolas Courret : … Sur le quatre titres, peut-être pas trop Oobik, quoi que…
Romain : Oui, sur le quatre titres, oui, oui…
Nicolas Courret : Après, c’est  la façon de mettre en œuvre tout ça qui a évolué
Romain : En fait, ça c’est vraiment une évolution de groupe, ça a bougé dans le groupe et puis on revient quasiment au départ. Moi j’ai l’impression que Nicolas Bonnière a toujours fait partie du groupe. Enfin, on s’est croisé, ce sont des histoires parallèles. Nicolas a monté Dolly, et ce sont des groupes qui naissent quasiment au même moment : Oobik And The Pucks, Dolly, Eiffel.
Après, Abricotine est vraiment très maladroit comme album. Il y a encore un an et demi, je crachais dessus mais maintenant non. Je me dis que ça fait partie de l’histoire, c’était peut-être plus adolescent. Maintenant, on ne cherchait pas à être ados, on venait, et on vient toujours, d’une culture très David Bowie, très glam, avec quelque chose de très féminin. Ça, on l’a tous partagé nous trois et je pense que Nico voit un petit peu de quoi je veux parler. Et donc dans Abricotine, on a essayé de mettre ça. A l’époque, Eiffel est née sur les cendres d’Oobik And The Pucks. Et, en fait, on a fait trois ans d’indépendance et pendant ces trois ans, on faisait du punk rock entre guillemets. Sur scène, on était ultra garage, on avait des chemises en dentelle, c’était que des tempos speed etc. Et quand on a fait le disque, ce n’est pas la maison de disques, c’est nous-mêmes qui nous sommes dits : « Putain, on n’a plus envie de ça. ». C’est tombé comme ça, on a fait un album très pop, assez acidulé, avec plein d’erreurs en production, que j’assume totalement, c’est ça qui est agréable aussi quand tu décides de réaliser des trucs. Moi j’assume mes erreurs. Par contre il y a une patte, il y a un style, genre très aigu, pas de bas (Rires). Par exemple, il y avait une chanson qui s’appelle Te Revoir, et tout le monde m’a dit que c’était une chanson qui était adolescente. Je ne pense pas que cela soit adolescent. J’en voulais un peu aux médias de confondre, sans faire intello, signifiant et signifié. Ça parle de l’adolescence mais ce n’est pas une chanson adolescente, car à l’époque, quand je l’ai faite, j’avais vingt-sept ans, je ne sais plus, je n’étais déjà plus ado .Et demain, je ne sais pas, je peux très bien raconter un amour sur un banc de lycée ou les histoires qui arrivent à ma fille de seize ans. Et je ne pense pas que je serais adolescent, je parlerais d’un être humain à un tel moment qui vit ça. Ce sont deux choses différentes. Je t’accorde qu’il était peut-être un peu adolescent dans la fraîcheur de production, dans certaines erreurs etc. c’est clair. Mais autrement non, pas plus adolescent que maintenant. Je pense que dans Sous Ton Aile, le troisième couplet dit :

« Comme la promesse au pays
D’un pit-bull au Fouquet’s »

On pourrait nous coller l’image d’adolescents mais bon, je trouve ça plus fun que de dire : « La jeunesse emmerde le Front National ».


Estelle : Même sur le dernier disque, j’ai entendu des médias dire que Eiffel c’était du rock d’ados. Par ce qu’en fait en France, souvent, tu mets la voix en français et des guitares saturées et surtout le fait d’être exalté, de s’emporter et bien c’est un truc d’ados, pour pas mal de journalistes. Comme si, quand on vieillit, il faut être calme, posé et réfléchi et qu’on n’avait pas le droit de s’exalter… Si c’est ça être adolescent, on l’est toujours et on le sera toujours, même à 80 ans et tant mieux.
Romain : Oui, mais même, je ne pense pas que c’est une histoire d’âge ou quoi que ce soit, c’est une histoire de culture en France. On adore Dominique A, moi je trouve que c’est un personnage assez exalté dans son écriture, son dernier tube l’est vachement Rendez-Nous La Lumière, on pourrait dire que c’est très adolescent. Mais j’ai envie d’écouter ça comme texte, en ce moment, ça me plaît. Vous voyez ce que je veux dire, l’évocation, en gros, d’un petit idéal sous-jacent, quelque chose dont on pourrait encore rêver. Effectivement, nous, on rêve encore un petit peu. Et après dans notre culture, il n’y a pas que des trucs exaltés, Gainsbourg, c’était très exalté mais pas dans le chant, c’est du talk over. Mais c’est très exalté quand même, il est tout le temps en train de raconter des passions à moitié libertine, dans des salons XIXème, c’est quand même dingue son truc. J’adore, j’adore. Mais autrement quand on évoque les influences d’Eiffel, les premières sont les Beatles, c’est Brel. On aime ce qui est un peu poivré, pimenté, quand il y a de de la bite, et quand il y a du nichon. Excusez-moi ce n’est pas pour la vulgarité, c’est juste que l’on aime bien quand il y a du rouge et que c’est un petit peu barré. Un petit peu comme quand on juste bu un petit peu et qu’il se passe plein de trucs, et que la nuit ne finira jamais. On est plus là-dedans avec Eiffel.
Nicolas Courret : Ouais, et aussi, un certain lyrisme que l’on retrouve chez Brel, chez Franck Black. C’est ça aussi, il y a vachement de choses, pas cynique, mais un peu blasé, il y a des choses bien qui se font comme ça. Mais c’est vrai, que nous on n’est pas là-dedans. On aime aussi des choses plus soft, plus pince-sans-rire. Mais là, non, on a envie d’un certain lyrisme avec le côté exalté, épique.
Romain : On a essayé de faire un album dont certaines parties sont épiques, où la nuit ne finira jamais… C’est vrai, quand je dis ça, c’est très adolescent… Nirvana, par exemple, pour citer une sorte de monstre sacré du rock ‘n’ roll, c’était un truc… Nous on a envie qu’on nous passe dessus, que l’on nous broie. Moi, j’ai envie d’être broyé quand j’écoute de la musique. Broyé, cela ne veut pas forcément dire avec la puissance sonore. C’est pourquoi je disais Gainsbourg, par exemple avec : « Je suis venu te dire que je m’en vais », ça peut te broyer, moi ça me retourne cette chanson-là… Après ça dépend des moments, tu peux aimer des choses qui te frôlent plus. Mais on est plus là-dedans Eiffel, on cherche ça.
Nicolas Courret : Oui et puis ça, on peut le trouver de plein de façons différentes, pas besoin de sortir des watts ou quoi que ce soit. Tu disais Gainsbourg, il y a cet album de Katherine, Les Créatures, qui est un petit monument, cet album est sublime. Moi, je suis super fan aussi du dernier Bertrand Belin, qui date de 2010, qui est plus poétique, avec plein d’images, avec un côté un peu répétitif mais quand tu rentres là-dedans, ça, ça me broie aussi, j’adore ça. Et le tout dans un environnement hyper calme, avec piano, guitare, batterie, balai… Voilà ce n’est pas une histoire de watts…
Romain : En fait on cherche une certaine intensité… Moi, ce que je cherche dans la musique c’est même plus que la musique en soi, la musique c’est un moyen. Ce n’est pas que je ne m’en fous de la musique. C’est un moyen que je trouve génial parce que ça se trouve dans l’air, c’est un des arts totalement impalpables, c’est du rien la musique et en même temps c’est tout. Et c’est ce qu’on cherche à faire. Ce n’est pas des mots intellos, il ne faut pas avoir peur de ça dans les interviews, ce n’est pas parce qu’on est en France et qu’on est à l’époque de Bénabar, qu’il faut avoir peur de parler de l’idée de transcender sa vie, de transposer sa vie. On n’est pas croyants, certains sont athées, certains sont agnostiques. Bref, on essaye de créer… C’est vrai il y a un rapport mystique un petit peu, moi je n’ai pas peur de ça. L’idée que la musique emmène quand même dans un état comme ça, sans un sans être complètement barré, mais juste, cela te porte ailleurs, tout bêtement. Et je pense que pour être bien chez soi, dans son propre corps, dans ses propres idées, il faut se sortir de soi-même pour mieux revenir. Donc c’est ce qu’on essaie tous de faire, je suis sûr d’une manière ou d’une autre. Nous on essaie de faire mais de manière très intense, puisqu’en plus de ça, il y a ce côté tout con de se dire : « C’est notre boulot, il faut qu’on en vive ». Donc c’est bizarre, il y a un côté totalement concret et un aspect don de soi, pour que l’on te donne. Le rapport au public est très important, en live en tout cas.
Et juste pour répondre à la question de l’idée d’engagement, puisqu’on me la pose souvent. Souvent, on a dit que l’on n’est pas engagés et des fois on a dit : « Un petit peu ». Et nous on ne sait plus, on est perdus. J’ai envie de dire ça à l’heure actuelle : « On est perdus »… Moi, j’écris des chansons d’Eiffel, les textes etc. Donc je vis comme les gens d’Eiffel, on parle ensemble et aussi avec nos amis. Eiffel c’est aussi plein de ramifications, de gens qui sont autour de nous, que l’on connaît très bien, d’autres que l’on ne connaît pas du tout. Mais dont on adore, par exemple, la musique ou les livres. Et ce sont nos amis, virtuels ou non. Et tout ça, ça revient là-dedans, dans les textes. Je ne peux pas m’empêcher, à des moments donnés, de mettre ça en texte, étant donné nous sommes des troubadours, des trouvères, des colporteurs d’impressions, pas de messages, d’impressions. C’est très important, on n’a aucun message à donner, un message à un truc clair : thèse, antithèse, synthèse. Nous, on n’est pas clairs. Mais, par contre, pardonnez-nous, dans les textes on ne peut pas ne pas mettre un petit peu des autres, et même carrément, j’ai envie de dire. Tu ne vas pas chanter sur toi toute ta vie, donc tu parles un peu des autres et de ce que tu vois, de comment vivent les autres et toi-même au sein des autres. Et c’est quasiment le titre de notre disque, Foule Monstre. C’est cette masse comme ça, faite d’indivisibilité, moi je crois beaucoup aux individualités au service du collectif mais il faut faire gaffe que le collectif ne devienne pas débile. Et des fois, la foule le devient et parfois elle est merveilleuse aussi. Là, j’en parle et je m’extrais de la foule mais j’en fais partie et c’est ce que dit la chanson Foule Monstre : la foule tu me fais peur, cette masse comme ça, cet amas de chairs humaines et en même temps j’en fais partie, moi aussi, je fais partie du potentiellement monstrueux ou du potentiellement merveilleux. On le voit quand c’est un concert de rock, on le voit quand il s’agit d’élections, on le voit quand il s’agit de manifestations, on le voit quand il y a des révolutions arabes, Place De Mon Cœur a été écrite à ce moment-là…

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Par rapport à l’engagement, on ne veut pas totalement exclure l’idée de parler de la vie avec les autres, de la vie dans les autres (sans faire de jeu de mots sexuels) mais on est obligés de parler de la vie de la cité donc de politique. Après on n’est pas du tout engagés dans le sens où Eiffel serait un groupe de gauche, un groupe de droite, un groupe du centre, un groupe d’extrême gauche. Ça nous fait chier et je cite volontairement cette phrase de Pierre Desproges dans chacune de mes interviews, et concernant le rock français et aussi le rock alternatif : « L’héroïsme, c’est la seule chose qui vous reste quand vous n’avez pas de talent ». Et parfois en ce qui concerne le rock français et ses dérivés, il y en a beaucoup qui brandissent l’étendard de l’engagement comme une sorte de potentiel de crédibilité, de génie. Alors que nous pas du tout, il ne faut surtout pas nous mettre là-dedans, si on est nuls Eiffel, c’est qu’on est nuls tous seuls, même sans engagement. La petite part d’Eiffel qui est un petit peu vindicative, qui veut dire des choses, parfois donner des impressions etc. ne contribue pas du tout à l’éventuel talent ou non talent d’Eiffel. Ça, il faut que ce soit dit, que cela soit carré. Avant tout, le vrai talent, c’est quelqu’un qui, avec une suite d’accords et de trois mots chantonnés, susurrés ou hurlés, à la Franck Black, va te procurer des émotions même s’il chante le bouton d’or dans le champ en Normandie, ou le cul de la crémière ou la beauté des mollets de Dominique Strauss-Kahn.

 

A suivre…

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