Ben Drew avait sorti en 2010 The Defamation Of Strickland Banks, un concept album où le londonien faisait preuve d’un certain talent en tant que chanteur soul. Pourtant, avant de faire vibrer ses chordes vocales, Ben Drew, originaire de Forest Gate, un quartier difficile situé à l’est de la capitale anglaise, avait sorti en 2006 un premier disque de rap intitulé Who Needs Actions When You Got Words : « Chanter était mon plan A, rapper mon plan B » expliquait-il il y a deux ans, au moment de la sortie de son deuxième album. Le rap a toujours été une manière pour lui de donner de la voix à ceux qui ne pouvaient pas être entendus. Une fois cet objectif atteint avec son premier album, faire de la soul semblait être la seconde étape logique. Seulement, durant l’été 2011 les émeutes de Londres en ont décidé autrement, obligeant Ben Drew à revoir ses plans. Touché par les événements, lui qui venait juste de relever la tête pour sortir du trou assiste, attristé, aux terribles scènes de violences et de pillages qui sévissent un peu partout. Le pays est malade, révolté, il  range alors son costume de crooner et ressort la veste à capuche du placard pour reprendre le micro. Ill Manors, morceau introductif extrait de l’album du même nom, sort en en février dernier et remet un coup de pied dans la fourmilière sociale toujours sous tension. Plan B se place du côté des émeutiers pour rendre compte d’une situation où finalement tout le monde est ressorti perdant. Il n’essaie pas de justifier ici quoi que ce soit et n’apporte aucune solution au problème. Les violons, alertes au début du morceau, annoncent la couleur et sont là pour nous faire bouillir le sang jusqu’à l’explosion lors du refrain :

« Oi ! I said Oi ! What are you looking at, you little rich boy ? We’re poor ’round here, run home and lock your door ! Don’t come ’round here no more, you could get robbed ! For Real Yeah, you know my manors ill ! » / « Oi ! Qu’est-ce que tu regardes, toi petit fils de riche ? Nous sommes pauvres ici, alors rentre chez toi et ferme à clef ! Ne viens pas par ici, tu pourrais te faire voler ! Pour de vrai, tu sais mon quartier est malade ! ».

À n’en pas douter, si Ben Drew n’était pas en studio à ce moment là, il aurait été dans la rue. Ill Manors se fait l’écho du malaise qui sévit dans ces banlieues qu’il connaît bien. Et quelle meilleure façon d’exprimer ce sentiment que de nous le faire vivre. Comme annoncé dès l’introduction, Plan B avec un sarcasme assumé nous fait monter en voiture pour un « safari urbain » au milieu des tours. De là, on entend tout : les sirènes de polices sifflées, les conversations houleuses entre habitants de Forest Gate, les cris, les pleurs. On voit aussi les tours, les rues poisseuses et ternes qui servent de décor aux onze titres qui composent ce projet. Au milieu de tout ça, le rappeur place sa voix pour nous raconter l’histoire de ces personnages désabusés, produit de leur environnement. Le second titre de l’album I Am The Narrator, morceau à l’ambiance définitivement street, est d’ailleurs servi par une boucle étouffante qui nous prend à la gorge façon Big L sur Lifestylez Ov Da Poor & Dangerous. A la seconde où les notes de piano d’Aquarius, sample tiré du Carnaval Des Animaux de Camille Saint-Saëns viennent se déposer sur le beat, on entre alors dans un cauchemar éveillé. Un cauchemar qui trouvera une lueur d’espoir sur l’avant-dernier morceau du disque Life Once avant de s’éteindre dans une conclusion pessimiste sur Falling Down. « Sincèrement je veux changer les choses (…) C’est juste la première étape« . La deuxième, nous raconte le Guardian, c’est un album, un film chorale sur le quartier de Forest Gate dont sont extraits six morceaux de Ill Manors ainsi que des plans pour l’activisme social.

Sortie deux mois avant l’ouverture officielle des Jeux Olympiques, Ill Manors trouve ici une résonance toute particulière. Le message est simple : comment un pays peut dépenser des milliards pour préparer un événement de cette envergure tandis que toute une population vit sous le seuil de pauvreté à quelques pas du village olympique ? Cet album à l’ambiance très cinématographique sonne comme un retour aux sources, époque Who Needs Actions When You Got Words pour le garçon. Entre les mélodies dissonantes jouées au piano, les breakbeats rageurs et les basses dépressives, Plan B ressort la guitare pour insuffler de l’émotion à son récit. Playing With The Fire et Deepest Shame sont là pour apporter de la profondeur à son sujet et sur ce dernier titre, la voix sublime du rappeur, redevenue chanteur pour l’occasion est une véritable bouffée d’air. Les collaborations collent parfaitement aux propos de l’album, appuyées par des lyrics intelligents mais aussi très noirs, on n’avait jamais entendu la banlieue sonner aussi juste depuis Original Pirate Material de The StreetsIll Manors confirme alors ce qu’on savait déjà de Plan B. À savoir, un artiste et un vrai talent, doublé d’un songwriter à la conscience sociale éveillée. Décidément ce garçon réussit tout ce qu’il touche. Si ce n’est pas déjà fait, c’est peut-être le moment de débuter une collection.


Tracklist :

  1. Ill Manors
  2. I Am The Narrator
  3. Drug Dealer (feat. Takura Tendayi)
  4. Playing With Fire (feat. Labrinth)
  5. Deepest Shame
  6. Pity The Plight
  7. Lost My Way
  8. The Runaway
  9. Great Day For A Murder
  10. Live Once (feat. Kano)
  11. Falling Down

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