Le Père Noël est parfois une ordure ! C’est ce qu’on a pu lire cette semaine sur plusieurs sites. Non pas, parce que les pauvres mélomanes que nous sommes n’ont pas reçu par tata Suzanne le magnifique coffret d’Alain Bashung « A perte de vue » (et pourtant dieu sait à quel point je le voulais… mais ça c’est une autre histoire) mais vous l’avez sans doute appris – avant nous – : Vic Chesnutt n’est plus.

La nouvelle est venue de son amie Kristin Hersh, qui a publié sur son Twitter une poignée de mots qui ont fait monter des marées de sel à nos pupilles : « Une autre tentative de suicide, ça n’annonce rien de bon. S’il survit, il pourrait y avoir des dommages cérébraux. », « Cette fois, c’est réellement effrayant : *cette* fois, il a laissé un mot, *cette* fois, il leur a demandé de m’appeler. »

On est resté là, figés devant nos PC, ne sachant pas quoi répondre, le foie gras ne passait plus. Les mains tremblotantes arrivaient à peine à placer North Star Deserter sur la platine, en se laissant croire que les miracles existent vraiment.

Puis on se prend la nouvelle en face. Vic finit par nous quitter vendredi 25 décembre dans l’après-midi. L’artiste a préféré déposer sa guitare et embrasser le silence.

Pour le garder en nous comme un trésor précieux, le laissant vagabonder avec sa voix d’ange, heureux et paisible, Désinvolt a sollicité la plume de ceux qui ont été bercés par son univers. Au fil de leurs mots se tissa la vie, se sont définis le monde, la musique… Et si vous tendez un peu l’oreille, vous pourriez même entendre la voix de Vic.

« La musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée. », Platon

Dresser le portrait de Vic Chesnutt pourrait nécessiter un bouquin entier. Avec une quinzaine d’albums à son actif, le brillant poète de la folk indé américaine laissa une trainée de lumière musicale derrière lui, à chaque écoute de ses albums. Une voix d’ange, poignante et douloureuse, capable d’exprimer à la fois toute la misère et toute la beauté du monde.

Jean-Marc du webzine le zata justement disait « La vie ne l’a pas épargné en embûches, c’est peut-être pour se faire pardonner qu’elle l’a doté d’une telle grâce« .

A l’instar d’Elliott Smith, Vic arrivait à nous transmettre toute sa tristesse et nous envoyer dans une profonde mélancolie. La musique n’est jamais vraiment joyeuse, mais triste, sombre, émouvante. Mes mots seront impuissants pour décrire une musique aussi émotionnelle. Et pourtant je ne me sens pas seul. Je relève la tête et m’aperçois qu’il y a d’autres gens que moi, chargés d’émotion et accablés par ce triste départ.

Je suis tombé sous le charme du garçon il y a quelques années, mais pas tant non plus, et l’ai suivi depuis de près, autant avec The North Star Desaster, qu’avec The Dark Development avec Elf Power, que récemment sur le magnifique At The Cut, sans doute l’un des disques de l’année, et qui prendra certainement une connotation encore plus forte avec la triste fin que l’on connait, et donc le statut de dernier album de son vivant. En fait je n’ai pas grand chose à dire, si ce n’est témoigner de ces derniers jours, qui ont pris un tour assez particulier pour moi, étant donné que cela fait deux semaines que j’écoutais ce disque en boucle. Et ce qui fut encore plus fort, c’est qu’à l’instant même où j’écrivais ma chronique minute pour minute, dans la nuit du 24 décembre, Vic tentait de mettre fin à ses jours. Ça a été assez dur pour moi d’admettre que pendant que moi, petit français en fin fond de province, j’étais en train de me délecter de cette musique, alors qu’au même moment, à l’autre bout des Etats-Unis, son auteur était en train de partir. Cela m’a bien plus bouleversé que Michael Jackson ou Johnny Halliday (quoi Johnny n’est pas mort?). Nul doute que l’on parlera malheureusement plus de lui après sa mort qu’avant, mais c’est un moindre mal. Ah si j’oubliais, le plus dur, nous faire ça à Noël.

Julien Deverre – desoreillesdansbabylone.com

OK, je vais avoir du mal à ne pas tomber dans le pathos. Vic Chesnutt, je l’ai découvert grâce à cette vidéo, et j’ai été bouleversée d’abord par l’interprétation puis par l’histoire tragique de cet homme qui met sa souffrance au service de la musique, au service des autres. En me demandant quel effet a sur moi sa musique, je pense à ces scènes de films où le héros, blessé, arrête l’hémorragie en appliquant un fer rouge sur la plaie. Mes chansons préférées de Vic Chesnutt sont comme ce fer rouge, elles ravivent des douleurs pour mieux les faire disparaître. Il va me manquer.

Eddie – Lechoix.fr

Pour moi, Vic Chesnutt est un peu une étoile filante. Il a traversé les deux décennies qui viennent de s’écouler dans les ténèbres, invisible. Soudain, j’ai été atteint de plein fouet par la longue traînée de l’album At The Cut, flamboyant et écorché. Le jour de Noël, l’étoile Vic Chesnutt s’est consumée, rappelée par la mort, l’amante qu’il avait tenté si souvent d’éconduire.

Je ne me sais pas très crédible pour le pleurer et le regretter car The North Star Desaster et Is The Actor Happy ? ont un petit goût de posthume. Mais il a chanté l’amertume et la douleur comme peu de gens avant lui. Et comme on se plonge dans un album photo un peu jauni et usé par le temps, j’écouterai pendant longtemps At The Cut. Car des joyaux comme « Coward » ou « Chinaberry Tree » sont autant de repères qui nous disent la douleur, l’absence et l’espoir.

Martin – Branche ton
Sonotone

C’est le son d’un être en feu, nous rappelait sa plus fidèle amie Kristin Hersh.
Pas besoin de connaitre la discographie complète de l’artiste, il suffit juste de tendre l’oreille à sa musique pour le ranger directement dans la catégorie des artistes qui comptent.

La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au fond de l’âme chercher le chagrin qui nous dévore. », Stendhal

J’ai découvert Vic Chesnutt grâce à Kristin Hersh. Je pense qu’il y a peu de véritables héros dans la vraie vie, mais si quelqu’un devait en tenir lieu pour moi, ce serait Kristin. Je me disais que si elle disait tant de bien de ce Chesnutt, c’est qu’il devait bien y avoir quelque chose derrière. Je suis allé voir, ou plutôt entendre ; je n’en suis jamais revenu.

Ce qui me bouleversait chez Vic, plus que sa franchise désarmante, plus que ce mélange étonnant d’espièglerie et de sagesse, de souffrance et d’innocence, c’est tout simplement… ses chansons, et surtout sa manière de les habiter. Prononcée par lui, chaque syllabe était investie du poids de tous les traités de philosophie du monde, chaque mot valait l’oeuvre complète de bien des balladins autrement célébrés. Il y avait quelque chose de magique dans la manière dont il triturait le langage et lui donnait chair. Je pourrais citer bien des passages qui me bouleversent, du premier album ( Speed Racer me colle toujours une boule dans la gorge – et je crois que je ne saurai jamais pourquoi –, Mr. Reilly me chope à chaque fois au même passage, celui où il parle de la petite livreuse de journaux retrouvée pendue à un arbre, elle était bien jolie avant « but now, now, now she’s rather vile… » Ah Vic, Vic. T’écouter chanter me donnait l’impression que tu avais tout compris, et rien accepté) jusqu’aux tout derniers… À ce moment précis, je pense en particulier à Chinaberry Tree qui me donnait l’impression qu’il avait finalement trouvé en lui la résolution nécessaire pour surmonter la douleur, la noirceur qui le guettait sans relâche. Mais non…

Il me manque. J’ai chialé quand il est mort. C’était un géant.

Franck (jediroller) – blackolero.blogspot.com

Un grand affirme Michael Stipe (REM, premier producteur de Vic) : « Nous avons perdu l’un de nos très grands. » !

Vic n’était pas seulement ce déprimé chronique à la tristesse infinie, il pouvait aussi être drôle et hilarant. Capable malgré ce corps cloué sur une chaise roulante de donner vie à une chanson brillante comme une lumière déchirant la nuit, et nous envoyer en orbite pour ne jamais y redescendre.

« La musique est la langue des émotions. », Emmanuel Kant

Sur scène, c’est un moment de grâce où la vitalité de Vic l’emportait toujours. Des paroles souvent ironiques qui retiennent l’attention. Ceux qui ont assisté à un concert de Vic Chesnutt s’en souviennent encore. Comme un pied au paradis, une sensation bizarre t’envahit, et une impression d’avoir goûté à quelque chose qui ressemble… à l’infini. Je pense à certains amis et fans touchés au cœur par une prestation poignante. Le souffle coupé, ils ont retrouvé le temps d’une évasion, une émotion forte, qui les brûle encore aujourd’hui :

Vic Chesnutt, on l’avait programmé lors de sa tournée française avec Thee Silver Mt Zion en backing band. On connaissait évidemment son histoire, ses déboires. Lors du concert, il jouait très près du bord de la scène, on avait peur qu’il s’avance un peu trop et qu’il tombe. Mais j’ai l’impression que c’était un peu toute sa vie…la scène, un échappatoire mental, un homme au bord de la rupture. Trop peu de fois j’ai expérimenté ce genre de rencontre. Sa voix, ses cris, cette intensité qu’il dégageait m’ont littéralement figé la colonne vertébrale pour ne me laisser comme sens que l’ouïe et la vision. Vic Chesnutt avait réussi à me transférer dans son corps et dans sa tête. Je pensais être le seul mais en regardant les 400 personnes autour de moi j’ai compris le pouvoir magique qu’avait cet homme, son concert a fait date à Nantes, certains ne s’en sont jamais remis, je fais partie de ceux-là. Il est mort le jour de la naissance du Christ en se suicidant, il est parti comme il l’a voulu, rideaux, chapeau bas Mr. Chesnutt.

Anousonne – GrandCrew

Lorsque Vic Chesnutt entrait sur scène, voir un type avachi dans un fauteuil roulant créait le trouble parmi le public, peu habitué à voir apparaître un homme « diminué » devant lui. Pourtant, tous les musiciens qui l’accompagnaient s’installaient autour de lui, dans une attitude solennelle et protectrice. On comprenait très vite que cette attitude n’était pas de la commisération ou de la bienveillance polie pour Vic Chesnutt, mais la marque d’un vrai respect. Et pour cause, lorsqu’il se mettait à chanter, sa voix ne flanchait jamais, ses mots souvent durs s’égrenaient, implacables, et il se permettait même de faire de l’esprit et de l’humour entre les morceaux. Vic Chesnutt était alors l’archétype de l’homme qui refusait de s’apitoyer sur son sort, et préférait transcender sa douleur par sa musique. Sa souffrance était juste un peu plus visible chez lui que chez d’autres.

Hervé – Indiepoprock.net

En 1991, j’ai déménagé à Athens, Géorgie, à la recherche de Dieu, mais ce que j’ai découvert à la place fut Vic Chesnutt. Entendre sa musique a complètement transformé ma manière de penser l’écriture de chansons, et j’aurais toujours une dette envers lui. », Jeff Mangum (Neutral Milk Hotel)

Chesnutt avait beau chanter le suicide, la mort ou le désespoir, avec sa musique il a pu profondément toucher beaucoup de musiciens. Certains s’en rappellent :

J’avais perdu le fil de Vic Chesnutt entre « About To Choke » et le magnifique « Northern Star Deserter » enregistré avec Guy Piccioto et Silver Mount Zion, et qui du coup, m’ a fait replongé dans sa discographie. Ses 2 derniers albums ont rythmé mon automne, et certes, il n’était pas en grande forme, mais avait la pointe d’humour, la sensibilité et le réalisme qui caractérisait son songwriting. Sa musique me touche profondément et sa mort me rend bien triste, tout simplement. Je garderais en tête son concert hypnotique à Nantes le 15 novembre 2007 accompagné par le super groupe cité plus haut, où nous avions eu la chance d’ouvrir pour lui avec Faustine Seilman.

Vincent du groupe My Name Is Nobody

Vic c’est la grâce et la douleur, portés par une voix à la limite du surnaturel qu’on imagine puisée au plus profond de l’être. Vic c’est des concerts parmi les plus fulgurants et émouvants auxquels il m’a été donné d’assister. Impossible de ressortir indemne du choc provoqué par sa musique et sa poésie brute. Merci Vic.

Martin du groupe Arabelle & the Gallows Birds

J’ai découvert Vic Chesnutt que tardivement lors de la sortie de « North Star Seserter« , qui est pour moi un des albums majeurs de 2007. Ce disque m’a vraiment profondément touché par ces morceaux alternant passages calmes et explosions noisy.

J’ai pu le voir en concert lors de la tournée suivant la sortie de cet album au Vauban à Brest et je peux dire que ce fut un moment magique: une guitare et une voix pleines d’émotions accompagnées par les impressionnants membres de Thee Silver Mt Zion et Guy Piccioto de Fugazi (qui est également une énorme référence pour moi). Ce qui était le plus saisissant était l’atmosphère générée par le contraste entre les passages folk intimistes et les envolées instrumentales explosives.
A la suite de ce concert, j’ai acheté quelques disques au hasard dans sa discographie et je suis encore à l’écoute du tout récent « At the cut » qui poursuit admirablement le travail de « North Star Deserter« .

Dans la vie, j’en parle car j’ai déjà été confronté à une disparition similaire, c’est malheureusement une fois que ces moments dramatiques arrivent que l’on essaie de se rendre compte avec quelle souffrance intérieure la personne disparue devait vivre et supporter le quotidien. Vic Chesnutt l’exprimait et la faisait magnifiquement ressortir dans sa musique.

Cette nouvelle m’attriste terriblement … j’espérais le revoir lors d’un prochain passage en France. Je vais replonger un peu plus dans ces disques, l’écoute ne sera définitivement plus la même mais l’influence restera ancrée, indéniablement…

Fred du groupe A CYANO

La musique de Vic Chesnutt est sans équivalent, et s’il ne bénéficie pas de leur notoriété, il laisse en nous quittant le même vide que Kurt Cobain, ou Elliott Smith, au bas mot. Sa musique, comme la leur, s’adresse directement à l’âme. Sa voix, comme la leur, était un message en elle-même – mais là où Elliott Smith semblait tutoyer les anges, Vic Chesnutt et son timbre rocailleux marchandaient plutôt avec le Diable, sans doute afin d’obtenir un répit supplémentaire chaque fois que le matin se levait. A présent qu’il n’est plus question de répit, mais plutôt de repos, je réécoute celui de ses disques que j’ai adopté, et qui a bercé le début de ma vie d’adulte. Il agit sur moi comme un vieux pull-over que j’aurais longtemps mis. Il me réchauffe, il me bouleverse, il m’émeut, il m’enchante. Et je me dis que s’il est, dans ces circonstances-là, d’usage de dire « Rest In Peace » dans la langue du défunt, ces mots prennent tout leur sens s’agissant de Vic Chesnutt – parce que la paix, hélas, il ne semble pas l’avoir assez connue de son vivant.  »

Benjamin Peurey du groupe ELISTA

Lui qui déclarait «  I’ve flirted with you all my life/even kissed you once or twice/ and to this day I swear it was nice, but clearly/ I was not ready. When you touched a friend of mine, I thought I would lose my mind/ but I found out with time that really I was not ready, no no/ O Death, O Death, O Death, clearly I’m not ready » (J’ai flirté avec toi toute ma vie, je t’ai même embrassée une fois ou deux, mais je n’étais pas prêt). Il semble que cette fois ci, il s’est senti prêt. Adieu l’artiste.

« Coward », placé dès l’ouverture du dernier album, ce titre n’est rien moins qu’un uppercut dans la gueule de l’auditeur non averti. On a bien du mal à se remettre d’un tel coup et on reste longtemps abasourdi après l’écoute de ce cri de douleur.

Paco de delaluneonentendtout

Une page a été créée pour venir en aide à la famille de Vic, qui doit rembourser près de 70 000 dollars de frais médicaux, entre autres. Si vous désirez offrir votre contribution, rendez-vous ICI (10 dollars minimum soit moins de 7 euros).