En Italie, il manquait véritablement quelqu’un pour arracher le paysage électronique au joug des gros bonnets tortionnaires que sont Crookers et Bloody Beetroots. Depuis le début du nouveau millénaire, l’Europe, et cela n’aura échappé à personne, a trouvé un nouvel élan sur le plan culturel. Le monde technique dans lequel nous vivons s’est depuis bien installé, il a imposé ses lois, ses règles et bien sûr, engendré ses monstres. Depuis le fameux essor qu’a représenté la « French Touch » pour les nouveaux artistes débarqués dans le milieu, c’est maintenant avec le casque AKG vissé sur les oreilles et le volume poussé à fond que ces derniers ont décidé de vivre pleinement cette nouvelle ère technicienne en utilisant les moyens mis à leurs dispositions afin d’en exploiter toutes les possibilités. Depuis, chacun dans son coin, tout le monde y va de ses triturations sur séquenceurs, de sa technique de sampling, assouvit son addiction à la MAO, enregistre son travail et livre à l’arrivée son propre « produit fini ». Ce qu’il est intéressant de remarquer à ce stade, c’est de constater comment la musique électronique du XXIème siècle produite par cette nouvelle génération parle à son époque. D’observer à quel point elle concentre en elle toutes les questions et les inquiétudes que l’Homme se pose aujourd’hui : le progrès rapide et fulgurant, le rationalisme face à la religion, l’absurdité de la vie, l’anxiété planétaire… C’est ce que des gars comme Aphex Twin, Mr.Oizo, JusticeBoys Noize ou LORN lancent comme message à la jeunesse à travers leurs beats lourds et sombres, leurs sons saturés et tonitruants. Le noise de Bloody Beetroots qui fait littéralement crier jusqu’à la mort ses platines ou encore les roulements de basses dégénérescents du duo Crookers accentuent encore un peu plus cette impression. Le XXIème est le siècle des excès, du débordement en tout genre avec pour seule philosophie : « Nous sommes les mieux placés pour affirmer qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait, alors allons-y à fond ! » Et le monde se met alors à danser sur des airs de fin du monde…

Si la tendance tend se radicaliser, on peut se dire qu’il serait temps de faire une pause et de lever un peu le pied ! Laisser du temps au temps et à l’unviers de tourner à son rythme. Si les faits nous pousse à dire que notre civilisation dans toute son évolution est arrivée à présent à un point névralgique de sa situation, la culture et plus particulièrement en ce qui nous concerne la musique constitue à la fois un témoin et un acteur non-négligable de ce sentiment. C’est la crise, merde ! La planète est en danger, le pouvoir d’achat est en chute libre et le niveau de vie se détériore ! Angoisses. L’Homme cherche des solutions ; d’un côté les partisans d’une musique électro-house décérébrée, destinée à endormir l’opinion – bien que très efficace – et de l’autre la petite voix de l’opposition qui n’accepte pas les règles et cherche à se faire entendre différemment. Cette résistance dans les années 70 et ce, jusqu’à l’avènement du punk s’appellait Grateful Dead, Led Zeppelin, Sagittarius ou encore Pink Floyd. Le mouvement psychédélique a su capter dans sa musique l’essence d’une contre-culture en rébellion direct contre sa société et son époque en général. La jeunesse aspire au bonheur et au lieu de se tourner vers de quelconques parlementaires incapables, c’est Jimi Hendrix et All Along The Watchtower qui va les y conduire (plus une bonne dose de LSD !). En 2010 cette nouvelle résistance porte désormais le nom de Dusty Kid et surgit exactement de là où on ne l’attendait pas.

A l’abri de tout se tumulte qui secoue encore un peu plus les limites de la « pop music », sur son île de Sardaigne, à Cagliari le jeune Paolo Alberto Lodde rêve d’autres chose pour son pays et pour le monde. Paolo, c’est le genre de surdoué qui fait surface une fois tous les 10 ou 15 ans pour relancer un peu la machine et remuer les consciences. Son histoire avec la musique a commencé très jeune. Si on le qualifie de « surdoué » aujourd’hui c’est qu’on aime bien raconter cette petite anecdote (que je vais moi aussi raconté d’ailleurs) : à l’âge de 10 ans le Kid aurait assimilé en l’espace d’un an, 6 années de cours de violon et de piano. Agé aujourd’hui d’à peine 30 ans, personne n’oserait lui donner des leçons en matière de fugue ou de sonates ni le dispenser d’un cour sur Antonio Vivaldi. Et lorsqu’il s’intéresse à la culture techno (son premier contact avec la musique des clubs changera à jamais sa vie) ce n’est pas pour copier ce style qui l’a fait vibrer (un soir de cuite entre 2h et 6h du matin sans doute), ni pour imiter ses contemporains mais bien pour proposer autre chose.

A Raver’s Diary est sorti en 2009. Lui ont précédé plusieurs EP  dont le très remarqué The Cat et Luna qui ont permis à Dusty  Kid de voir ses productions jouées au milieu des playlists de  plusieurs DJ pendant quelques années. Juste le temps de se  faire un nom sans trop se fatiguer en quelque sorte. Ce premier  album le  place directement en tête des incontournables de sa  génération, lui qui a réussi à faire un pied de nez à tout un  courant musical en vogue en réinventant et ressuscitant un genre que l’on croyait mort et de signer au passage, l’un des meilleurs disques techno de ce début de millénaire depuis Consumed de Plastikman en 1998 (qui lui donnera un petit coup de pouce aussi) ! Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’en Italie le dernier artiste électro majeur s’appellait Alexander Robotnick… c’était il y a 30 ans ! Depuis, nada ! Il n’existe quasiment pas ou peu de culture électronique en Italie, tout restait enfouie, les artistes n’arrivaient pas à sortir de leur trou et le public les boudaient jusqu’ici aux détriments des valeurs sûr venu d’Angleterre, d’Allemagne ou de France. « Les gens ne sont pas informés et ne s’intéressent pas à l’électro comme dans le reste de l’Europe. » raconte Dusty Kid dans une interview accordé à Desoreillesdansbabylone.com.

Alors lorsqu’un gamin perdu sur son île de méditerranée sort son premier EP I Found A Reason chez les anglais Lowered Recordings à 19 ans, l’évènnement à de quoi susciter l’intérêt. La techno tout comme le classique, Dusty Kid l’a assimilé de bout en bout pour la faire restituer comme personne. Il renoue particulièrement avec cette tradition minimale européenne qui faisait le bonheur des raves à la grande époque. Tour à tour sombre et psychédélique sa musique offre à l’auditeur un son plus dépouillé, répétitif et épuré que ses grands frères de la House. Le beat est lourd, la basse bien présente et, même si ils apportent du mouvement et du rythme au morceau, lui ne s’arrête pas là. Les pieds vissés au sol mais la tête perdue dans les étoiles, on retrouve dans ses sonorités tout ce que les hippies ou les amateurs de drogues (ou les deux) recherchaient alors il y a 40 ans. C’est tout ce qui va se construire autour de cette rythmique hypnotique qui va amener l’auditeur à se perdre, le temps d’une chanson ou d’une soirée, au milieu de ces vibrations. Chaque note qui découle de la précédente est à sa place, choisie avec minutie, rien ne bouge ou ne tremble dans cette construction solide face aux tremblements de terres et aux Tsunamy. Trempé dans le psychédélisme, la deep-techno, le down-tempo, l’acid-house, l’électro pur et dur, brassant des références qui vont de UR à Gui Borrato, le génie de l’électro italienne propose un savant mélange avec de quoi satisfaire les plus aigris d’entre nous.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=6IdkepeWue0[/youtube]

Un disque en forme d’hommage à cette culture maltraitée en Italie mais surtout un disque qui apporte une autre vision sur son temps ! Si on le compare à l’anticipation funeste de Consumed à propos du futur de l’Humanité, futur où elle n’apparait plus comme en témoignent les sons métalliques, la redondance des rythmes binaires et l’ambiance glaciale des morceaux, A Raver’s Diary dresse le portrait plus optimiste de notre évolution. Sans oublier les passages plus « dark » de l’album (The Underground Persistence, Lynchesque) qui révèlent tout le talent de ce petit bonhomme pour faire bouger les foules, A Raver’s Diary se dévoile véritablement dans sa dernière partie. America, longue track progressive et magnétique de 17 minutes sur laquelle l’artiste se laisse guider par l’âme du morceau et nous laisse entrevoir un autre univers, d’autres possibilités… Une invitation sur 11 pistes à contourner ce monde misérable et aller atterrir un peu plus loin sur une autre planète, libéré du temps et de l’espace en apesanteur.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=xk080SFF8KE[/youtube]

Tracklist :

  1. Here comes the techno
  2. The underground persistence
  3. Lynchesque
  4. Klin
  5. Cowboys
  6. Moto perputuo
  7. The fugue
  8. Pluk
  9. America
  10. Agaphes
  11. Nemur (Guitar of Walls)

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