Plus rares chez nous, les biographies de rappeurs ou les ouvrages sur le monde du hip-hop le sont moins aux Etats-Unis. L’année dernière sortait d’ailleurs sur le sol américain le livre de J-Zone, Roots For The Villain qui retraçait le parcours sans succès d’un emcee essayant de se faire une place parmi la scène underground new-yorkaise. Original, en tout cas honnête, J-Zone faisait alors part de ses déceptions concernant un milieu qui l’a toujours boudé, plaçant au passage un petit tacle bien senti au rêve américain et aux « self-made men » qui trônent aujourd’hui sur le monde et que sont les Jay-Z et autres P.Diddy.

Cette année sort cette fois-ci un autre livre dont l’intérêt ne situe pas tant comme le titre semble l’affirmer, dans le récit salutaire d’un homme qui a échappé à la violence des rues, mais plutôt dans l’analogie qui y est faite entre deux mondes, celui des gangs et celui du show-business. Son personnage principal, Ice T – né Tracy Marrow -, est l’incarnation du rêve américain version « bad ass » ainsi qu’une figure incontournable du gangsta rap, genre qu’il a contribué à faire émerger dans les années 1980 en Californie. Impossible de ne pas se représenter ce grand gaillard, ex-cambrioleur, devenu rappeur et enfin acteur (rappelez-vous, l’agent Tutola dans la série New York unité spéciale, c’est lui).

Si le livre de J-Zone proposait en quelque sorte un état des lieux du hip-hop indépendant aux Etats-Unis, Ice T fait ici le récit flamboyant d’un petit malin qui, ressorti de toutes les épreuves, a réussi à s’en sortir grâce à la musique jusqu’à gagner des millions. Mais alors qu’on pourrait s’attendre à un récit moralisateur d’un ancien O.G. (Original Gangster) prêchant aujourd’hui la bonne parole à la jeunesse des quartiers, l’auteur dresse un portait sans langue de bois sur son parcours musical, parti d’un enregistrement sur une Face B pour arriver jusqu’à la signature dans une grande major avec au bout du chemin, le succès international. Ice T a fait asseoir sa réputation en mettant en mots dans ses chansons, avec un vocabulaire cru, la violence qu’il observait dans les rue de Los Angeles où il a grandi après son départ de Newark dans le New Jersey. Constats froids et sans concessions de la réalité des gangs aux Etats-Unis, certains de ses albums sont depuis devenu des classiques (Rhyme Pays en tête de liste). Pionnier en la matière, il a finalement fait de ce style son gagne-pain, sans jamais trahir sa passion.

« Le hip-hop m’a sauvé la vie. Sans déconner. C’est le hip-hop qui m’a sorti du cercle vicieux dans lequel je vivais« . Discours conventionnel s’il en est, Ice T évite de nous servir une énième autobiographie ennuyeuse en insistant sur les passages obligés et glauques de sa première vie. Ce sont plutôt les commentaires qu’il distille ici et là à propos du hip-hop aujourd’hui et du business qu’il représente qui sont à prendre en considération. Voir à quel point le schéma de sa vision du monde, calquée sur celle des codes appris dans la rue, s’applique au monde de l’industrie musicale et finalement du show business : « Hollywood est un monde gangster, bien plus que les rues de Los Angeles« .

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Régulièrement critiqué à cause de ses choix, il a néanmoins réussi à conserver son intégrité et évoluer dans ce milieu. Etre un O.G, une légende du rap et jouer un flic dans une série télévisée après avoir créé la polémique avec un titre appelé Cop Killer n’a rien d’incompatible. Le rap est un business, parfois intéressé, mais les rappeurs restent des artistes avant tout. Un message que les commentateurs en France semblent avoir du mal à accepter ou comprendre, l’entertainment étant ressenti par ces derniers, contrairement aux Etats-Unis, comme quelque chose de négatif. On peut faire du rap, avoir la hargne du rookie, du militant ou encore du passionné mais il ne faut pas pour autant forcément dénigrer le cadre dans lequel il s’inscrit. Et en France, territoire de lettres et non de performers, on a souvent tendance à l’oublier. Le cas du rappeur Booba chez nous reste encore l’exemple le plus explicite à ce sujet. Lui qui applique les codes du rap américain et de la black music à son propre univers, se jouant des clichés, reste l’un des artistes les plus intéressants actuellement, même s’il reste aussi l’un des plus critiqués. Sa musique n’en est pas moins intéressante, au contraire. Voilà le message que cherche à faire passer ce livre.

Tous ces ponts entre la rue et les collines de Los Angeles sont là pour démystifier cette vision d’un rap où l’indépendance serait garante d’une certaine qualité de la musique produite. Si le hip-hop est bel et bien une culture et un mouvement avant tout, comme le dit Ice T, il est aussi ancré dans un système et : « on ne change pas le système, on le manipule« . Ice T ramène donc le hip-hop, en tout cas une partie, à ce qu’il est devenu aujourd’hui. Et sur ça, il n’y a pas de jugement à porter : « Quand vous faites la pute, sachez que vous faites la pute« . C’est tout.

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